La logistique 4.0.

Lancés en décembre 2016, les petits-déjeuners du Commerce 4.0 mensuels de la Chaire E.Leclerc et ESCP dédiés à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies  sur le secteur. Ils sont animées par le Professeur Olivier Badot, Doyen de la Recherche ESCP et Directeur Scientifique de la Chaire en présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E.Leclerc et Président de la Chaire E.Leclerc/ESCP). 

Le petit-déjeuner du 1er février 2017

Le petit-déjeuner du 1er Février 2017 de la Chaire E.Leclerc/ESCP « Prospective du commerce dans la société 4.0 » avait pour thème :« La logistique 4.0 ». Avec la participation du Professeur Eric Ballot (Mines Paris Tech), du Professeur Aurélien Rouquet (Neoma Business School), et du Chloé Voisin-Bormuth (La Fabrique de la Cité/Vinci). 

La croissance exponentielle de l’intensité logistique

« La logistique sert d’abord à répondre à une demande » a rappelé en préambule le Professeur Eric Ballot (Mines Paris Tech) pour expliquer le regain d’intérêt que suscite la question. Cette demande, ce sont d’abord les défis posés par l’atomisation exponentielle des flux et des prestations : allongement des distances, délais réduits, quantités fluctuantes, utilisation partielle des entrepôts et taux de remplissage insuffisant des moyens de transport… En bref, « des moyens logistiques dédiés de plus en plus difficiles à optimiser et des flux difficiles à anticiper ».

La logistique, c’est une chaîne d’acteurs très complexe — producteurs, plateformes, grossistes, transporteurs, détaillants, distributeurs — difficile à maîtriser avec assez peu d’efficacité au final constate aussi Chloé Voisin-Bormuth (La Fabrique de la Cité). Elle pointe aussi les exigences d’un consommateur qui « veut le monde à sa porte, mais vite ». Sans oublier, rappelle-t-elle, une injonction de s’inscrire dans les objectifs des consommateurs et des villes en termes de développement durable : « Le transport de marchandises à usage privé ou professionnel représente plus d’un tiers des émissions de CO2 en zone urbaine, 50% des particules fines rejetées dans les villes, et 9 a 15% des déplacements de véhicules ».

« L’Internet physique » au secours de la logistique

Comment recréer de l’efficacité logistique ? Telle est donc la question. Pour le Professeur Eric Ballot, « rien ne sert de mettre la pression sur les transporteurs mais, il faut proposer une autre organisation du travail logistique ». La solution : mutualiser et partager les ressources logistiques, interconnecter plusieurs réseaux et les prestations. Il cite pour exemple la création de points de partage, d’entrepôts mobiles, des sortes de "ports terrestres", l’installation de boîtes modulaires partagées comparables aux conteneurs qui ont révolutionné le transport maritime, ou encore le retour à un fret ferroviaire groupé.

Une « mutualisation entre les enseignes mais aussi entre les consommateurs », explique le Professeur Aurélien Rouquet (Neoma Business School), qui présage « des chaînes logistiques multipliées et multidirectionnelles ».

Mais c’est avec le numérique que s’écrit déjà l’avenir de la logistique, selon le Professeur Ballot. C’est  « l’Internet physique » : l’Internet des objets appliqué aux outils de la logistique (camions, boîtes et conteneurs connectés, offrant traçabilité et interactions dynamiques). En la matière, l’Europe est à la pointe des recherches avec la plate-forme Alice, et de nombreuses start-up (Mix, Move, Match en Norvège, le Centre de Routage Collaboratif en France…). Chloé Voisin-Bormuth cite pour exemples le programme européen d’optimisation du chargement des camions, le Port de Hambourg, et la construction de centres mutualisés de consolidation des matériaux de chantiers à Londres. 

L’émergence d’un consommateur-logisticien

Autrefois cantonné en bout de chaîne, le consommateur joue désormais un rôle crucial dans cette logistique 4.0. « Il est devenu une ressource logistique à part entière », annonce le Professeur Aurélien Rouquet. Ikea, en faisant entrer le consommateur dans ses entrepôts, ou la grande distribution en créant des libres-services, avaient ouvert la voie. « La grande nouveauté, c’est le digital — smartphones, applis, tablettes et demain frigos et maisons connectés — qui induit une implication beaucoup plus forte et possible de ce consommateur dans le schéma et le rend acteur de cette logistique commerciale ».

Une « logistisation de la consommation » qui impacte fortement les distributeurs, contraints d’intégrer ce consommateur-logisticien dans leur schéma, de diversifier leurs espaces de relation (drives, Internet, livraison personnalisée…), obligés de combiner les attentes des uns et des autres tout en restant cohérent par rapport à son positionnement… Certaines start-up du Net, en jouant les « distributeurs urbains », font le pont direct entre producteurs et consommateurs (cf. Amazon Flex, Deliveroo, Nestor, Bobchef, Instacart aux Etats-Unis…) et menacent les distributeurs en les ramenant à de simples fournisseurs. Quand ils ne s’en passent pas totalement, avec la complicité d’un consommateur autonome, ces « makers » mus par le « do it yourself ». Une  logistique « peer-to-peer » dont l’essor semble inéluctable. En témoignent le succès du Bon Coin, de Vestiaire Collective, de La Ruche qui dit Oui ou l’essor des supermarchés collaboratifs. 

La logistique urbaine 4.0

Avec la logistique 4.0, c’est toute la Ville qui doit se repenser.  « Si la logistique urbaine n’est pas tout a fait un sujet nouveau — la Ville a toujours été comme un cœur qui aspire et rejette en permanence — la question revient au cœur des débats sous la pression des attentes », affirme Chloé Voisin-Bormuth qui distingue trois scénarios. Tantôt c’est la collectivité qui fait jouer sa puissance réglementaire pour se repenser en « hub logistique » : c’est le cas de Londres (création d’un port logistique à 30 kms du centre, transport mixte fret/ferroviaire vers le centre, instauration d’une « no emission zone ») ou de Barcelone (optimisation des espaces de la voirie). Tantôt, c’est « Business as usual » et ce sont les acteurs privés qui agissent en développant de nouveaux schémas (plate formes de e-commerce, logistique à la demande…) Tantôt, enfin, c’est le potentiel productif lui-même qui est repensé et qui reprend sa place dans la cité sous forme de circuits courts : fermes urbaines en hydroponie de Montréal, à Détroit, et mise en place d’une économie circulaire fondée sur le recyclage. 

Pour Michel-Edouard Leclerc, qui concluait les débats, l’affaire ne fait aucun doute : « La logistique est un secteur d’avenir à investir. C’est la clé de la performance de demain. C’est elle qui fait et fera la différence dans le calcul de la valeur d’une enseigne ».

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