Comment réinventer la société 4.0 à l’aune du XXIème siècle ?

Lancées en décembre 2016, les rencontres mensuelles de la Chaire E. Leclerc et ESCP dédiées à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies sur le secteur. 

Elles sont animées par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen de la Recherche ESCP et Directeur Scientifique de la Chaire en présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E. Leclerc et Président de la Chaire E. Leclerc/ESCP). 

Une nouvelle saison

Après une riche saison 1, la saison 2 ouvrait le 3 octobre dernier sur le thème : "Comment réinventer la société 4.0 à l’aune du XXIème siècle ?", avec la participation de Jean Staune, philosophe des sciences et essayiste de renom, et de Laurent Solly, directeur général France et directeur régional Europe du Sud de Facebook.

"Ce qui se passe sous nos yeux est la pire et la meilleure des choses de l’histoire humaine" dit  Charles Dickens. Jean Staune, auteur du célèbre livre "Les clés du futur", qui nous donne les clés pour comprendre les incroyables mutations que vit notre monde, cite ainsi Charles Dickens en guise d’ouverture pour illustrer ce que nous sommes en train de vivre : "le passage de la modernité à la post-modernité". Il précise alors son propos en catégorisant cette transformation en cinq grandes révolutions qui nous "frappent en même temps", et qui forment toute la richesse et la complexité du monde qui nous entoure.

La révolution conceptuelle : la fin d’un monde prévisible

"La fin du modèle BOEING / AIRBUS", nous donne en exemple Jean Staune pour matérialiser cette révolution, où dans notre monde actuel, il n’y a plus de grosses entreprises au monopole écrasant, avec une faible concurrence et une "poignée" de clients. 
Aujourd’hui, on compte des multitudes d’entreprises par secteurs, avec même des PME, qui, en partant du postulat d’une politique digitale bien faite, peuvent toucher des millions de personne. C’est le passage du "médiocrisant à l’extrémisant" comme il nous l’explique, qui pousse les entreprises et les pays à se réinventer continuellement ; le monde est devenu volatile, du fait de ces nouvelles  variables en interaction. Résultat, les acteurs économiques ne peuvent plus penser le monde simplement, il est en mouvement, constant et rapide, et nécessite d’être stratégiquement considéré comme tel.  

La révolution technologique : la relation de l’Internet et des robots

C’est l’Internet des objets connectés : ici, Jean Staune nous présente un kaléidoscope des dernières avancées technologiques en matière d’objets  connectés, qui sous-tend les énormes mutations à prévoir pour toutes les enseignes du monde du commerce et de la distribution.

On nommera tout d’abord le géant Amazon, qui par exemple a breveté des machines à laver connectées. Leur plus-value pour l’entreprise et pour le consommateur? Elles sauront automatiquement recommander la lessive  dès lors qu’elles constateront un épuisement du produit ; le tout, sur Amazon bien entendu. 

S’en suivront, à l’attention des supermarchés, les serrures connectées ! Offertes par le distributeur américain Walmart à ses meilleurs clients pour les inciter à faire/continuer de faire leurs courses chez eux.  Notre invité présentera aussi en clin d’œil à Laurent Solly, le porte manteau connecté à Facebook, avec le nombre de "likes" apparents sur les cintres des habits en vente, puis l’arrivée du LIFI, le fameux "internet par la lumière" dont Lidl teste déjà les prouesses en Allemagne, la puce RFID, implantable chez l’être humain : entre paiement, stockage de données et d’informations, la question qui se pose sur cette nouvelle technologie ainsi que sur les précédentes, c’est bien celle de l’éthique de ces transformations. 

"La Notion de droit de l’homme va radicalement changer au XXIème siècle", précise justement Jean Staune. Un postulat inquiétant, du fait de la perversité de ces objets dans le sens de leur immersion incontrôlable à prévoir dans nos vies. Sera-t-il possible de ne pas les adopter sans être discriminé pour ça ? Les normes futures qui régiront nos sociétés ne les auront-elles pas massivement intégrées ?  

Toujours autour de ces interrogations, gravitent la question de la robotisation de l’homme ainsi que de l’humanisation des robots. Jean Staune évoque l’incontournable Elon Musk et son entreprise Boston Dynamics, avec ses cyborgs, dont la conception les rend plus efficaces et ô combien moins vulnérables dans leurs capacités physiques que l’Homme (Robots-logisticiens, connexion du cerveau humain aux robots, lui permettant de contrôler n’importe quel objet à distance par analyse des ondes cérébrales). 

L’impression 3D n’est pas oubliée, avec la surprenante chaussure Carmon d’Adidas, et ses semelles scannées et imprimées en 3D à partir du pied de chaque client, mais aussi les impressions de voitures voire même des maisons entières ! 

Mais alors, s’interroge toujours Jean Staune, "jusqu’où iront les robots ?". D’objets du quotidien connectés aux machines humaines facilitatrices, le philosophe évoque finalement l’union maritale de l’homme et du robot, que l’on imagine possible, non sans quelques craintes, d’ici la fin du siècle. 

La révolution économique : "la plus-value est dans l’intelligence, la créativité et le big data, plus que dans la possession des machines".

Selon l’énumération de Jean Staune, on retrouve au cœur de cette mutation :

  • L’Ecologie positive (par exemple, la voiture qui dépollue l’air de la ville en roulant !) 
  • L’Economie circulaire 
  • La longue traîne 
  • La "nouvelle nouvelle économie", qui consiste à faire de l’argent dans la gratuité (exemple du business model de Facebook)
  • Le Big Data
  • La blockchain

 La révolution managériale, où le passage du décideur au facilitateur.

La révolution sociétale, où le passage de l’avoir à l’être.

Cette révolution modifie d’une part en profondeur la structure de la consommation de l’Homme, en proposant une société au sens "plus humain", avec des consommateurs qualifiés par des sociologues américains de "créatifs culturels". Jean Staune nous illustre cette nouvelle transformation en comparant l’image (et les bosses) d’un chameau et d’un dromadaire : la première bosse représente le produit 1er prix, la seconde, le produit "porteur de sens". "Aujourd’hui dans nos sociétés, on constate le passage du dromadaire au chameau au sens où l’on assiste à un effondrement du milieu de gamme (et donc de l’inter-bosse), pour généraliser entre les différentes classes sociales, l’accessibilité et l’achat de produits plus sains et plus qualitatifs, qui s’inscrit dans une recherche de bien-être de plus en plus forte", illustre-t-il. 

D’autre part, pour les supermarchés, le développement du SCAN corporate via l’application d’une puce électronique, permettra à chaque client scanné à l’entrée du magasin d’être notifié automatiquement de tous les vêtements correspondants à sa taille ! Enfin, pour citer un autre exemple de l’impact sociétal considérable de cette révolution dans ces structures, on se prépare à la disparition de la monnaie telle que nous la connaissons (l’application chinoise WeChat est déjà très avancée sur la question), pour ne payer que via sa puce ou son téléphone. 

Ainsi, conclura Jean Staune, on assiste à l’avènement de l’ère post-moderne où va prédominer la compétence intellectuelle de chaque pays et entités, dont le crédo ne sera plus de dire « je consomme donc je suis » mais davantage « je crée donc je suis ». Pour lui, la clé reste la remise en cause continuelle de nos actes et pensées, la mise à jour et le perfectionnement systématique des connaissancesa, car « nous vivons dans un monde complexe et risqué, mais plein de potentialité ». 

Olivier Badot pose alors à Laurent Solly la question suivante : comment les réseaux sociaux vont-ils s’inscrire dans cette scission ? 

La plus rapide transformation qu’ait jamais connu l’humanité.

Laurent Solly, maintenant Directeur France et Europe du Sud de Facebook, et ancien numéro deux du groupe TF1, reconnait parfaitement cette révolution dans laquelle le monde bascule, et qui ne fait que s’accélérer. Il dira même, pour qualifier ce phénomène, qu’il s’agit de la révolution avec "la plus rapide transformation qu’ait jamais connu l’humanité"

Selon lui, cette mutation digitale que nous vivons se caractérise par plusieurs aspects : 

  1. Sa vitesse . Il prend en exemple la sortie du premier iPhone, et à quel point Steve Jobs lui-même n’aurait pu imaginer la révolution que l’outil allait instiguer. A ce jour, comme le relate Laurent Solly, c’est plus d’un milliard d’iPhones vendus dans le monde, plus de 2 milliards de smartphones vendus toutes marques confondues, et enfin, il notera l’incroyable constat qu’à ce jour, il y a plus de téléphones mobiles dans le monde que d’habitants. Il ajoutera très justement que "pour la première fois, une innovation si puissante, et si simple dans son utilisation, a été immédiatement adoptée par tous".
  2. Une personnalisation très puissante. En effet, le smartphone n’est pas un simple nouvel écran, c’est un écran personnel ; dans la main, "vous avez l’objet le plus important, le plus intime dans vos vies", nous a adressé Laurent Solly. "Plus de 2 milliards d’utilisateurs de Facebook, 800 millions d’instagrameurs,  tousavec des comptes Facebook et   Instagram différents". Dans cette transformation, continue-t-il, il y a "un acteur qui va plus vite que les autres, qui fait changer tous les modèles économiques, le rapport à l’information, la façon dont on manage les entreprises […], et cet acteur, c’est vous". 
  3. Une révolution démographique : le monde est jeune ; il n’a jamais été aussi jeune : sur plus de 7 milliards d’habitants sur Terre, la génération majoritaire dans les pays occidentaux, c’est la génération "des jeunes" (les Millénials, génération « digital natives » – elle représente 92 millions de personnes juste en Amérique). De ce fait, les standards s’adaptent, ils doivent s’adapter : « les rapports à la consommation, les rapports à l’intérieur des entreprises, etc. Tous changent, car c’est dorénavant la norme. » 
  4. Une dimension d’horizontalité très forte : Et non plus verticale comme on l’a connue tout au long du XXème siècle. Nous vivons un bouleversement constitué de plateformes, d’une nouvelle façon de manager. Laurent Solly le dit lui-même, en arrivant chez Facebook, il a compris qu’on ne manageait plus comme avant, et que "Facebook, en interne, c’est une plateforme".

"Cette transformation, c’est un rôle donné à chacun d’entre nous car nous nous sommes saisis de cette potentialité, de ses opportunités".

Nous conclurons sur une citation de M. Solly concernant son ami Jean Paul AGON, PDG de l’Oréal, au cours d’une interview qu’il donna en juin dernier au journal Les échos : "Mon industrie, mais le monde globalement, a plus changé en trois ou quatre ans, que dans les trente à quarante dernières années"

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