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Shadow comex : pourquoi ces comités de jeunes salariés ont-ils échoué ?

EXCLUSIF// Depuis 2015, des dizaines de grandes entreprises françaises ont lancé en interne leur shadow comex, un comité exécutif de l'ombre composé de jeunes. Avec l'ambition - pas toujours réussie - d'impliquer la jeune génération dans l'élaboration de la stratégie de l'entreprise, selon une étude dévoilée en exclusivité par « Les Echos START ».

En entreprise, les shadow comex sont pensés pour être des comités de l'ombre composés de jeunes salariés qui viennent challenger le comex.
En entreprise, les shadow comex sont pensés pour être des comités de l'ombre composés de jeunes salariés qui viennent challenger le comex. (iStock)

Par Chloé Marriault

Publié le 25 janv. 2024 à 07:03Mis à jour le 26 janv. 2024 à 14:51

Une vaste maison à Hossegor, dans les Landes. A l'intérieur, des chambres pouvant accueillir jusqu'à six personnes et des dortoirs comprenant jusqu'à quatorze lits. Bienvenue dans le premier établissement Jo & Joe, une marque lancée par le géant hôtelier Accor en 2016. Un concept à mi-chemin entre l'auberge de jeunesse et l'hôtel qui a germé dans la tête d'une dizaine de jeunes salariés d'Accor. Tous sont membres du « shadow comex », le comité exécutif de l'ombre que le groupe a créé en 2015, avec l'ambition d'impliquer ses jeunes collaborateurs dans l'élaboration de sa stratégie.

Inspirées par Accor, dont l'initiative fait grand bruit à ce moment-là, environ 40 entreprises françaises lui emboîtent le pas, en créant leur propre shadow comex. Parmi elles : Pernod Ricard, Adecco, Havas ou encore la Macif. L'ambition affichée ? Venir challenger le comex et lui soumettre de nouvelles idées, à l'image du shadow cabinet au Royaume-Uni qui réunit les députés de l'opposition formant une sorte de gouvernement « bis ».

Près de dix ans après le lancement du premier shadow comex chez Accor, « le bilan est mitigé », juge David Chekroun, professeur de droit à l'ESCP Business School et directeur scientifique du Professorship ESCPxKPMG, une chaire qui travaille sur la gouvernance inclusive et les nouveaux modèles de pouvoir en entreprise. Deux ans durant, ce centre d'études a passé au crible une trentaine de shadow comex français de grandes entreprises et pouvoirs publics (telle l'Autorité des marchés financiers).

Trop de missions tuent la mission

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Verdict ? « On observe très peu de mises en oeuvre de projets concrets, ce qui est source de frustration pour les principales parties prenantes », pointe David Chekroun. Si souvent les shadow comex ne portent par leurs fruits, c'est parce que leurs missions sont trop nombreuses et/ou mal définies, avance-t-il.

Dans certaines entreprises, on attend de ses membres qu'ils apportent un regard neuf sur les sujets abordés par le comex. Dans d'autres, qu'ils se fassent les porte-voix des salariés. En clair, qu'ils représentent la base de l'entreprise auprès de la direction, qui ne souhaite pas en être déconnectée. Parfois, ce comité est vu comme une sorte de cabinet de conseil interne, censé anticiper les tendances de consommation, d'organisation du travail et de RSE, et proposer des innovations pour y répondre. Et il arrive que les dirigeants d'entreprise attendent de ce comité… tout ça à la fois !

Autre difficulté : on leur demande parfois de s'investir sur des sujets sur lesquels ils ne sont pas compétents - la finance, par exemple. Ou de soumettre des idées, mais sans budget pour les mettre en oeuvre.

Le shadow comex est mort, vive le comité de transition ?

Faute de résultats concluants, « outre Accor, nombreuses sont les entreprises qui ont abandonné leur shadow comex après quelques mois ou quelques années d'existence », indique le livre blanc intitulé « La nouvelle génération et la gouvernance inclusive des entreprises ».

Ce n'est pas pour autant qu'il faut faire une croix sur cet outil. « Bien pensé, c'est le meilleur instrument pour que les jeunes puissent contribuer à la stratégie et à la gouvernance de l'entreprise », assure David Chekroun.

Avec son binôme Sam Meurant, qui a planché sur ces organisations, il propose d'introduire un nouveau concept : celui de comité de transition, « intégralement dédié à accompagner les entreprises dans les transitions qu'elles traversent, qu'elles soient écologiques, sociales, numériques ou organisationnelles ». La recette du succès ? « Ses membres doivent se concentrer sur seulement une ou deux missions bien définies. Ces comités doivent être dotés d'un budget, avoir une vraie liberté de ton », égrène David Chekroun, qui souligne que le comité peut avoir une existence limitée dans le temps, pour répondre à une problématique précise.

Des jeunes flattés mais frustrés

Quid du bilan du côté des jeunes qui composent ces shadow comex ? Alors que cette expérience peut leur être réellement bénéfique, beaucoup n'y trouvent pas leur compte, fait savoir le coauteur de l'étude. Pour nombre d'entre eux, cette mission s'additionne à leur travail, sans rémunération supplémentaire. Alors, d'aucuns préfèrent ne pas assister à ces réunions, plutôt que de les ajouter aux tâches qu'ils doivent déjà accomplir.

Autre difficulté : être membre de ce comité peut être source de tensions, notamment avec les supérieurs hiérarchiques directs, en raison des informations privilégiées auxquelles ses membres ont accès. Généralement, une dizaine de jeunes salariés sont soigneusement sélectionnés par la direction, qui recherche « à la fois des collaborateurs brillants, mais surtout de futurs potentiels leaders », rappelle l'étude. « Le mandat au shadow comex constitue pour eux une sorte de test, durant lequel leur travail sera jugé par le comité exécutif directement, qui a la capacité d'accélérer leur carrière en les nommant à des postes à plus haute responsabilité. »

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Gaëlle Mercier, directrice communication et marketing chez KPMG, a trouvé l'expérience enrichissante. Pendant un an et demi, elle a fait partie de la première promotion du « Next gen committee », le comité des jeunes de KPMG lancé en juin 2021 et toujours à l'oeuvre avec une deuxième promotion. A ses côtés, douze autres membres âgés de moins de 35 ans et issus de tous les métiers. Ensemble, ils ont proposé la mise en place de la semaine de quatre jours parentale. L'idée : proposer aux collaborateurs nouvellement parents de bénéficier d'un temps partiel à 80 % payé à 100 % (soit quatre jours sur cinq) durant un maximum de six mois. Un projet qui a séduit le comex, qui l'a mis en place à partir d'octobre 2022. Depuis, plus de 450 salariés l'ont expérimenté en un an.

« J'ai le sentiment d'avoir pu réellement influer sur les décisions de l'entreprise », confie Gaëlle Mercier. Et d'ajouter : «  J'ai pu monter en compétences sur des sujets qui n'avaient pas trait à mon métier, nouer des liens avec des jeunes que je n'aurais pas rencontrés autrement, mieux connaître l'entreprise. » Et de souligner que ce dispositif lui semble être un facteur de fidélisation important pour la poignée de salariés qui y participent.

Le shadow comex permet-il seulement d'embarquer tout le monde dans les transformations de l'entreprise et bénéficier à toutes ses parties prenantes ? Pas sûr. « Penser que des jeunes cadres vont représenter la base de l'entreprise, c'est faire fausse route », avertit David Chekroun. Lui préconise un comité intergénérationnel composé des représentants des différents métiers de l'entreprise. Un shadow comex plus ouvert en somme, pour relever le défi des transitions.

Chloé Marriault

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