Les plateformes se sont invitées dans les boutiques physiques depuis quelques années et des chercheurs de la Chaire E.Leclerc dédiée au commerce 4.0 ont effectué une recherche visant à théoriser et modéliser ce phénomène, et ainsi montrer tout son intérêt.

« Les plateformes semblent diriger le monde numérique depuis la popularisation d'Internet dans les années 1990, et conquièrent maintenant les univers physiques en s'associant aux murs des magasins, ou en synchronisant entièrement leurs business models à l’aide du géo-tracking et des données des clients  ». C’est le constat présenté par les doctorantes de la Chaire E.Leclerc dédiée à l’avenir du commerce dans la société 4.0, Amélie Abadie et Sara Belghiti, le Professeur Adeline Ochs, coordinatrice de la Chaire, le Professeur Jean-François Lemoine, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l'ESSCA, et le Professeur Olivier Badot, directeur scientifique de la Chaire, dans une communication - « Platformization » of shopping experience: field research and modelling - le 12 juillet à l’Université de Surrey au colloque CERR (Colloquium of European Reseach on Retailing), travail voué à être publié dans une revue scientifique.

Instagram, Yelp, ShPock, ces applis améliorent l'expérience d'achat en misant sur l'activité d'intermédiation et faisant correspondre des produits à des individus. Certains clients « shazament » des chansons ou des objets de consommation. Souvent, ils utilisent aussi des applications de messagerie instantanée telles que Viber et WhatsApp, ou envoient des SMS sur leurs smartphones pour partager instantanément des photos ou des vidéos avec leurs proches. Une minorité utilise des applications Flashcode pour garder une trace numérique d’un produit à la fin de leur visite.

Qu’est-ce que la plateformisation de l’expérience d’achat ?

Le shopping devient une transcription constante entre l'extérieur et notre environnement tangible en  boutique, grâce aux appareils numériques. Le client se comporte comme une plateforme à deux côtés : il gère Off-line et On-line. « Cependant, le rythme exponentiel du changement et la variété des comportements laissent aujourd'hui ces phénomènes comme observés mais rarement théorisés ». C’est ce qui explique principalement ce travail de recherche, dont l'objectif est de fournir des informations sur la logique et les réactions des clients lorsqu'ils utilisent des technologies dans un magasin. « Il tente de dessiner une structure pour le shopping omnicanal et de proposer aux détaillants des stratégies permettant d’améliorer l'expérience digitale en magasin », ajoutent-ils. Il aspire à « visualiser les contrastes entre les cultures numériques des consommateurs par les théories du business model des plateformes ». Les auteurs souhaitent ainsi conceptualiser la « plateformisation » de l’expérience client, c’est-à-dire « l'utilisation de technologies connectées à des communautés externes, initiées par le consommateur lors de sa visite d'un magasin physique ».

Grâce à l'ethnomarketing, les chercheurs ont développé un modèle de comportement omnicanal des clients qui reflète les stratégies du commerce sur plateforme numérique. 68 entretiens menés dans deux magasins aux technologies connectées, des observations et informations secondaires sur les enseignes ont concouru à façonner la vision d'une expérience de shopping plateformisée.

Plateformiser pour optimiser et faciliter les parcours d’achat

Les technologies, les caractéristiques d’un produit mais aussi le scénario marketing qui l’entoure incitent le client à mélanger virtuel et physique dans son shopping. Cependant, l’impact technologique sur cette plateformisation dépend largement des supports :personnels (smartphones), ou proposés par l’enseigne (tablettes, etc.) ; mais aussi l’expertise des clients. C’est aussi, et surtout, pour augmenter la performance de nos achats qu’on plateformise : vérifier la qualité, observer les alternatives des concurrents, se rappeler des références.

Enfin, la théorie met en lumière une plateformisation « sociale » : le magasin, fort d’une rhétorique symbolique ou singulière, entraine certains clients à poursuivre sur les réseaux sociaux l’histoire racontée par la boutique. 

Et si les auteurs constatent que cette expérience dépend principalement de l'attitude des clients à l'égard de la technologie, de leur culture et de leurs croyances, ils concluent que « pour les enseignes, la présente recherche illustre la pertinence des stratégies multipartites » et leur fournissent des implications pratiques : « Les gérants de magasins devraient orienter le capital digital en magasin vers la performance et la stimulation de l'expérience client. L'investissement logiciel pourrait mettre l'efficacité algorithmique et l'information virtuelle au service de la performance, tandis que le capital matériel dans la boutique montre un fort potentiel pour soutenir une boucle vertueuse aux émotions « hyper-réelles ». La valorisation de ce riche univers numérique exalte l'impact d'un magasin hors de ses murs et intensifie également les résultats internes »...

Plateformisation et émotions   

Leurs conclusions insistent sur le fait que la plateformisation devrait avant tout faciliter le parcours d'achat : « Le distributeur devrait optimiser le rapport de l'expérience sur l'effort, les coûts et le temps. Les technologies en magasin devraient d'abord se concentrer sur la valeur utilitaire de l’achat. (…) Nous avons en effet observé très peu de plateformisations "sociales" initiées pour aspect pratique du shopping ». Lorsque les consommateurs postent leur expérience d’achat sur les réseaux et invitent les internautes dans leur shopping, c’est principalement pour véhiculer des émotions, demander des conseils. Il ne s’agit alors pas de gagner du temps ou d’économiser, mais de partager un moment sans être contraint aux murs de la boutique.

Le numérique en magasin reste d’après certains interrogés contre-nature, mais les technologies font une large place aux sens et contribuent à créer une atmosphère allant au-delà de la réalité. D’après leur étude, c’est un véritable potentiel de virtualisation et de socialisation du magasin qui est de plus dynamisé par les consommateurs. Ils n’en considèrent pas moins que « les distributeurs devraient équilibrer les technologies et les stimuli physiques afin de mettre l'accent sur l’ADN des magasins : la sensorialité et la matérialité ».

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