Carlos Ghosn invité de Tribune

Carlos Ghosn était l’invité de Tribunes pour parler de son expérience en tant que PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, troisième groupe automobile mondial. Ce fut l’occasion pour lui d’aborder les défis du management interculturel dans un environnement global, et d’inaugurer une nouvelle chaire à ESCP. Retour sur cette conférence avec l’Institut Européen et International.

Qui est Carlos Ghosn ? Né au Brésil en 1954 de parents d’origine libanaise, Carlos Ghosn rejoint la France à l’âge de 16 ans. Diplômé de l’École des Mines et de l’École Polytechnique, il intègre Renault en 1996 en tant que directeur général adjoint, après une carrière de 18 ans au sein du fabricant de pneus Michelin. Tout en conservant son poste chez Renault, il devient PDG de Nissan en 2001. Le plan de redressement spectaculaire qu’il mène au sein de l’entreprise japonaise permet à cette dernière de réduire sa dette et de devenir l’une des compagnies automobiles les plus rentables au monde, malgré une situation économique difficile. En 2005, il succède à Louis Schweitzer en tant que PDG de Renault, se hissant à la tête de l’Alliance Renault-Nissan.

Quelles sont les clés de la réussite managériale de Carlos Ghosn ? Comment assurer la cohésion d’équipes multiculturelles ? Lorsqu’on lui pose la question, Carlos Ghosn explique qu’il s’adapte “instinctivement” à des environnements culturels différents, du fait de son amour profond pour les cultures étrangères, leurs histoires et leurs langues. “Pour réussir à manager la différence culturelle, il faut avoir une curiosité naturelle pour l’altérité et la différence” affirme-t-il. “Chaque fois que l’on se confronte à l’Autre, on grandit et on gagne en maturité”. Polyglotte et imprégné de trois cultures (libanaise, brésilienne et française), il semble imperméable au concept de choc culturel. Pourtant, le dirigeant a souvent été confronté aux défis de manager des équipes multiculturelles : “La réaction récurrente des personnes qui travaillent en environnement multiculturel est de critiquer les failles des autres cultures et de se replier sur la leur, de se communautariser”. Ce phénomène s’applique également aux cultures professionnelles : “les marketeurs restent entre eux, les comptables aussi”. 

Pour surmonter cette difficulté, Carlos Ghosn révèle qu’il a pris l’habitude de faire travailler des personnes de différentes cultures sur des projets d’ampleur qui mettent en jeu les intérêts personnels de chacun, et dont la réussite nécessite une forte implication de tous. N’hésitant pas à provoquer de véritables révolutions managériales, il a toujours réussi à concilier son respect des cultures et les besoins de l’entreprise.

Carlos Ghosn se dit prêt à faire face aux mutations importantes que provoque le développement technologique dans l’industrie automobile. “Le développement de la technologie est une vraie révolution dans toutes les industries, mais elle aura un impact particulier pour l’industrie automobile, avec le développement croissant de la voiture connectée, de la voiture électrique, de la conduite automatique…” explique M. Ghosn. Face à cette conjoncture troublée, les entreprises devront réussir sur deux fronts : sur le court terme, en répondant aux exigences de performance, mais également sur le moyen et le long terme, pour accuser le choc imminent de la révolution technologique. “Certaines entreprises ne survivront pas à cette transformation”, regrette-t-il. 

Sur l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, M. Ghosn explique qu’elle s’est avérée très concrète et fructueuse. Toutes les parties de l’alliance en tirent un bénéfice considérable en matière de pouvoir d’achat et de positionnement mondial. Cependant, il estime essentiel que chaque entreprise garde son identité pour éviter de se “cannibaliser” mutuellement. “Pour l’instant, nous ne voyons pas l’intérêt de réaliser une fusion. Ce n’est pas totalement exclu, mais ce n’est pas dans nos priorités. Nous envisagerons la fusion le jour où nous estimerons qu’elle peut apporter de la valeur aux trois parties. L’intérêt de l’alliance, c’est qu’elle nous octroie la puissance d’un seul groupe et l’agilité de plusieurs entreprises”. 

Néanmoins, cette synergie comporte des difficultés, notamment lorsqu’il faut résoudre des problèmes et conserver un équilibre entre les parties. Carlos Ghosn s’est confronté aux défis de définir les priorités de l’alliance, d’affirmer ses convictions et de savoir convaincre les équipes. “Il faut pouvoir décider ce qu’il faut faire, mais surtout ce qu’il ne faut pas faire. C’est difficile dans un cadre multiculturel, mais ça l’est également dans un cadre où les modèles de gouvernance d’entreprise sont différents : Nissan et Mitsubishi sont toutes deux japonaises, mais possèdent chacune une culture d’entreprise bien distincte”. 

À la question de savoir comment il gère les crises liées à son exposition publique, Carlos Ghosn répond que le leadership expose naturellement aux critiques, et qu’être leader implique de se placer volontairement sous le feu des projecteurs pour défendre l’entreprise. “Il y a toujours des crises” reconnaît-il. “Mais elles stimulent la maturité d'une équipe et de son leader”. Ces crises ne sont pas symptomatiques d’un échec de gouvernance, “car le véritable échec dépend de la manière dont on gère une crise : il faut être capable de reconnaître ses défauts de performance, ses défaillances, ses erreurs d’évaluation”.
  
La responsabilité d'un leader est également d'optimiser sa productivité pour satisfaire ses parties prenantes, tout en observant des méthodes légales et durables, ainsi qu’une dose de sagesse et de modération. “Je ne cherche pas à être un leader populaire” déclare M. Ghosn. “Pour transformer la perception, il faut d’abord transformer la réalité. Ce processus de transformation peut attirer une impopularité temporaire, mais ce qui importe à la fin, ce sont les résultats”.

Voir son intervention

Chair Management interculturel

Campus