RETOUR SUR LE PETIT-DÉJEUNER DU COMMERCE 4.0 DE LA CHAIRE PROSPECTIVE DU COMMERCE DANS LA SOCIÉTÉ 4.0 ORGANISÉ LE 3 AVRIL

Le Petit-Déjeuner du Commerce 4.0. s’est déroulé avec la participation du Professeur Fabien Durif,  vice-doyen à la recherche et à la création, ESG UQAM (Montréal), directeur de l’Observatoire de la consommation responsable, du Professeur Paul Lapoule, ESCP, et de François Henry et Cécile Château, fondateurs de la start-up Toutprèsd’ici. Les débats étaient animés par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen à la recherche de ESCP et Directeur scientifique de la Chaire E. Leclerc/ESCP, du Professeur Adeline Ochs, Coordinatrice générale de la Chaire E. Leclerc/ESCP et de Michel-Edouard Leclerc, Directeur général des chaines de magasins E. Leclerc.  

Commerce et production locale
Au sein de la distribution 4.0., avec des stratégies de digitalisation de plus en plus avancées de la part des enseignes et des marques, on peut se questionner sur l’évolution du commerce et de la vente de produits locaux. En effet, avec l’appui de nouveaux canaux de vente digitaux, on décèle de nombreux enjeux autour de la thématique du local pour les producteurs, les marques et les distributeurs. Quel état fait-on aujourd’hui de la demande et de l’offre de produits locaux ? La digitalisation des canaux d’achat et l’évolution des modes de consommation impactent-ils le marché de ces produits ? Comment les produits locaux peuvent-ils répondre à une évolution sociétale, de plus en plus tournée vers le bien-être et la consommation responsable ?

Commerce et production locale : des mythes aux réalités économiques 


Dans un premier temps, le Professeur Olivier Badot aborde plusieurs éléments d’analyse théorique autour du commerce et de la production locale. En référence au Professeur Pascal Lardellier, il explique que la majorité des mythologies construites autour de la notion de "local" sont portées par le secteur de l’alimentaire : une mythologie qui se développe autour des circuits-courts, de produits que l’on identifie comme authentiques (non-industriels), bons pour la santé et la planète, en lien avec des notions d’ancrage territorial et communautaire prononcées. 
Les résultats de l’étude de l’Observatoire Cetelem 2019 "Think local, Act Local"  apporte quelques éléments de réponse. Les consommateurs font davantage confiance aux parties prenantes de la proximité (artisans, producteurs, commerces) pour développer la production et la consommation locale de produits locaux. "Parier sur le local, donner du sens, miser sur l’humain", de nouveaux enjeux à venir pour le commerce qui devraient valoriser les magasins physiques, enracinés dans l’environnement local. La question du prix est soulevée et fait débat : "les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher pour les produits locaux ? La  marge de prix acceptable reste faible. Comme le précise le Professeur Olivier Badot : « La montée en puissance des produits locaux s'inscrit au cœur du paradigme postmoderne, reflétant des mythologies et des imaginaires de nostalgie, d'authenticité et d'artisanat chez les consommateurs. Si leurs attentes évoluent fortement vers ce type de produits, la sensibilité au prix et à la qualité restent des critères majeurs de choix, particulièrement au moment de l'acte d'achat." 

Entre perspectives française et nord-américaine

Un phénomène de plus en plus répandu

"En France comme en Amérique, on a une tendance de fond sur le local : il représente un choix censé, il est perçu de manière favorable, et il est encouragé par nos pairs et nos politiques", explique le Professeur Fabien Durif. Une tendance soutenue par les diverses études menées en France en 2018, qui montrent une part de plus en plus importante du "panier écoresponsable" des consommateurs : "sur ces trois dernières années, ce sont les produits locaux, de circuits-courts et étiquetés "made in" qui montrent la plus forte évolution au sein de nos achats", déclare le Professeur canadien. En effet, selon le baromètre de la consommation responsable, un citoyen sur deux présente une fréquence très élevée d’achat local. Une « hyper-tendance » devançant toutes les autres nouvelles tendances présentent sur le marché (comme l’adoption de nouvelles technologies par exemple), qui démontre l’implication des consommateurs dans leur quête d’authenticité et de qualité, de plus en plus soucieux de leur impact sur l’économie locale. Au Québec, on découvre des consommateurs attentifs aux lieux de conception et de fabrication des produits, à leur labellisation et à leur santé.  "Mais, attention. Le critère du local ne représente pas à lui seul un facteur de décision à l’achat lorsque le consommateur se retrouve sur le lieu de vente : il va regarder le rapport qualité/prix en premier lieu." Ainsi, il est important de noter qu’à prix égal, un produit issu de l’économie locale ne sera pas nécessairement favorisé par le consommateur, bien qu’il annonce être prêt à dépenser plus pour ce type de produit. 

La définition du « local »

"Qu’est-ce que le "local" finalement ?" questionne Michel-Edouard Leclerc, "est-ce que c’est le local-local, ou le local d’un autre ?".  "Un mot-valise", selon le Professeur Fabien Durif. Pour tenter de le définir, ce-dernier s’appuie sur des cadres théoriques qui signalent trois dimensions à respecter pour parler de production locale : 
(1) l’appartenance à un même territoire géographique restreint : le produit doit être produit et consommé sur un même périmètre géographique donné, avec un lieu de production idéalement situé le plus près possible du lieu de consommation. "En France, on va retrouver des distances de l’ordre de 80 à 100 kilomètres, au Royaume-Uni, on sera sur des distances allant de 30 à 50 miles, et lorsqu’on est aux Etats-Unis ou au Canada, on parle davantage de distances comprises entre 100 et 400 miles." 
(2) l’appartenance à un même territoire administratif ou politique. Un nouvel élément qui présente des divergences dans sa compréhension et sa définition par les différents acteurs : "est-ce qu’on va parler de la frontière ? Est-ce qu’on va plutôt parler de la province ou de la région ?" 
(3) les modes d’approvisionnement plus directs. "C’est le cœur de la consommation locale : les relations sont raccourcies et redéfinies entre le producteurs et le consommateurs, on s’attend donc à des relations plus directes entre ces acteurs", précise  le Professeur Fabien Durif. Toutefois aujourd’hui, on note le rôle des enseignes de grande distribution dans la vente de produits locaux. 
Ainsi, pour le consommateur, la question sera d’être renseigné sur la provenance et la traçabilité des produits achetés, quel que soit le périmètre énoncé et le canal de vente qui distribue le produit local. Une question de taille notamment pour la commercialisation de ces produits au sein des chaines de grande distribution, où ces critères peuvent être rendus flous par la concurrence des marques et des marques de distributeurs locales.

Tout près d’ici : un intermédiaire décisif entre producteurs et distributeurs

Le contexte dans lequel s’inscrit Tout près d’ici 

Tout près d’ici est une jeune entreprise qui se charge d’accompagner les producteurs locaux sur l’ensemble des services supports liés au marketing et à la commercialisation de leurs produits. Leur activité est née dans le contexte décrit comme suit : "quand on regarde la chaine de commercialisation classique, un grand groupe agroalimentaire achète de la matière première qu’il va dans un second temps transformer dans de grosses usines, et y ajouter un gros travail de marketing, de façon à valoriser l’ensemble du process qu’il a mis en avant. Ensuite, il y a de nombreux éléments liés à la commercialisation des produits à prendre en compte, des éléments réglementaires et de qualité, et puis enfin, il cherche à optimiser sa logistique pour aller vendre à des distributeurs qui, eux, ont les consommateurs en bout de chaîne", explique le cofondateur François Henry. Dans le cadre d’activités de Tout près d’ici, la jeune entreprise va travailler avec des producteurs maîtrisant la matière première et la transformation de cette matière, mais à qui il va manquer la partie "commercialisation", pour vendre et communiquer directement aux clients finaux.  
Avec la vente de produits locaux aux coopératives, à des grossistes, où la vente directe en B to C, une autre possibilité pour les producteurs reste d’aller démarcher les réseaux de distribution : "et c’est très compliqué", déclare François Henry. "Ils n’ont pas forcément le savoir-faire pour travailler avec eux, mais cette option reste attirante quand on se pose la question des volumes", ajoute-t-il. En effet, le cofondateur précise à juste titre que ce qui peut paraître être une évidence à première vue, étant donné les réseaux de magasins et le trafic généré par les grandes chaines de magasins, ne l’est pas nécessairement : "si la grande distribution décide de jouer le jeu et de mettre en avant les produits, oui, ce seront des volumes énormes, mais si elle ne le fait pas et décide de mettre les produits dans un coin, avec pour tout marketing une photo de l’agriculteur, ça ne finira par représenter que très peu de volume." 
Face à ces constats sur le terrain, le positionnement de Tout près d’ici de dessine : "oui la vente en B to B a du sens pour la vente de produits locaux, oui ça peut être simple, oui ça peut générer du volume dès lors que le produit est visible et correctement instruit, et oui il y a une capacité a générer de la valeur (même face à la concurrence des autres produits présents dans les rayons, souvent moins chers)."

Une marque labellisante 

Tout près d’ici, c’est tout d’abord une marque labellisante, qui va permettre aux produits de certains producteurs d’être estampillés de la "charte qualité" Tout près d’ici. Pour en bénéficier, les producteurs sont sélectionnés en amont sur la qualité de leurs produits, et leurs conditions d’exploitation tant au niveau environnemental qu’animalier. Dès lors, la jeune entreprise s’engage à obtenir des organes de grande distribution une juste rémunération des produits vendus et assure une forte visibilité de ces-derniers en magasin. "Notre marque n’a pas vocation à remplacer celle du producteur mais à venir appuyer la leur dans leur démarche individuelle. On est là pour aider les producteurs à valoriser leurs produits, en retravaillant par exemple leur packaging, ou encore en développant pour eux de nouveaux supports de communication qui les rendront plus visible dans les rayonnages, tout en apportant plus d’information pour le consommateur", précise Cécile Château.    
A titre d’exemple, la cofondatrice nous raconte l’histoire d’un producteur laitier avec qui la jeune entreprise travaille depuis un an. Après s’être occupé pour son compte du démarchage des magasins, de la mise en place en rayon de ses produits, de la gestion des animations sur le point de vente, de la communication sur les réseaux sociaux pour faire connaître ses produits et sa gamme, Tout près d’ici a su générer 5 000 euros de chiffre d’affaires par mois supplémentaires au producteur. "On est devenu très significatif pour lui », ajoute Cécile Château." 

Les MDD terroir au sein de la grande distribution : la valorisation du savoir-faire local

Fort de son expérience de chercheur dans le domaine, le Professeur Paul Lapoule corrobore les propos tenus par les fondateurs de Tout près d’ici. En effet, lors d’une étude menée sur les MDD terroirs des enseignes de grande distribution (par exemple : Nos régions ont du talent, Reflets de France, etc.), il souligne l’importance pour les producteurs et les distributeurs de collaborer ensemble : le producteur pourra bénéficier d’économies d’échelles liées à ses ventes et accroître significativement sa visibilité sur le plan national, tandis que le distributeur va pouvoir bénéficier de ces offres pour se différencier et satisfaire une demande de plus en plus prononcée de ce type de produit. Une demande des MDD terroirs qui va notamment combler la clientèle des différentes enseignes, par la garantie d’origine possédée par ces produits, leur qualité, et enfin, par le bon rapport qualité-prix-temps qu’ils offrent. Comme vu précédemment, le rapport qualité-prix perçu par le consommateur s’avère décisif dans l’acte d’achat. 
Le Professeur Paul Lapoule fait également un constat intéressant : les MDD terroirs se vendent mieux en magasin qu’au sein des drives. Cette annonce n’est pas sans rappeler l’activité de la jeune entreprise Tout près d’ici : accompagner les producteurs locaux dans le marketing et la commercialisation de leurs produits, informer et les rendre visible. Peut-être que ce manque de visibilité et de mise en avant, dû à un manque d’animation sur le point de vente ou de PLV est à l’origine de cette différence entre les ventes ? Il n’en reste pas moins que suite à ce constat, des responsables d’enseignes ont intégré sur leur site Internet une rubrique "terroir", et placent aussi ces mêmes produits dans leur catégorie d’origine afin d’accroître leur visibilité en ligne. 

Conclusion

Avec la montée d’une forte tendance de marché liée au local, et à l’heure où la génération 4.0 prospère, il n’apparaît pas étonnant de découvrir une digitalisation des différentes parties prenantes de ce secteur. Si le Professeur Fabien Durif mentionne l’existence de marketplaces locales sur le continent nord-américain (signélocal.com, F1840) à l’attention des consommateurs, c’est aussi la relation B to B entre distributeurs et producteurs qui se digitalise, en partageant un même système d’information. En effet, en plus d’être une marque labellisante, Tout près d’ici développe une marketplace permettant aux producteurs de digitaliser leur offre, et d’informer les distributeurs sur leurs capacités de productions. De retour en B to C, une visibilité accrue sur les sites de commande en ligne, des MDD terroirs qui communiquent sur les réseaux sociaux pour attirer une clientèle plus jeune, il semblerait que la tendance du local ne soit pas encore arrivée à maturité et promette un bel avenir à ses différents acteurs.  

Campus