RETOUR SUR LE PETIT-DÉJEUNER DU COMMERCE 4.0 DE LA CHAIRE PROSPECTIVE DU COMMERCE DANS LA SOCIÉTÉ 4.0 ORGANISÉ LE 5 JUIN

Echange de services, location, trocs… ces nouvelles formes de consommations alternatives en plein essor illustrent qu’à l’ère du partage, "consommer ne rime plus avec posséder". Cet engouement est favorisé par le développement de l’économie en réseaux et la multiplication des plateformes C2C. C’est l’ère de l’économie de la fonctionnalité, consistant à remplacer la notion de vente du bien par celle de la vente de l’usage du bien. Comme le rappelle Michel-Edouard Leclerc "l’essor de la consommation collaborative n’échappe à plus aucun secteur. Cette tendance est portée par des évolutions technologiques, économiques et sociétales et les acteurs de la distribution se doivent de prendre en compte ces mouvements dans leurs stratégies". L’objectif du petit-déjeuner est de mieux comprendre les dynamiques de ce phénomène et les enjeux et business models qui y sont associés. 

Alain Decrop, Professeur à l’Université de Namur et auteur de l’ouvrage "La Consommation Collaborative", Anahi Nguyen, co-fondatrice de L’Habibliothèque, Matthieu Degeorges et Antony Guinvarch, co-fondateurs de Make it Store (Leroy Merlin) étaient invités à participer au Petit Déjeuner du Commerce 4.0. Les Professeurs Olivier Badot, ancien doyen à la recherche de ESCP et Directeur scientifique de la Chaire E. Leclerc/ESCP, et Adeline Ochs, coordinatrice générale de la Chaire E. Leclerc/ESCP ont conduit le débat.

Commerce de l’accès : une base de l’économie collaborative

Le Professeur Decrop constate que nous n’avons "plus besoin d’acheter ou posséder". Depuis le début du millénaire, 10 000 startups de l’économie collaborative ont vu le jour dans le monde, dans tous les secteurs. Leur crédo est " what’s mine is yours", ce qui est à moi est à toi, selon l’ouvrage de Botsman et Rogers (2010). La collaboration entre consommateurs, monétisée ou non, dans une organisation horizontale sans hiérarchie, fonde l’économie collaborative. Un potentiel de 570 Milliards d’Euros de chiffre d’affaires est anticipé pour 2025, avec une croissance moyenne de 35% de ce business model. Les français sont particulièrement actifs dans l’économie collaborative, 1/3 des français ont utilisé dans l’année 2017 une plateforme collaborative sur Internet. Près de 200 000 personnes ont proposé leurs services, pour un revenu annuel moyen de 500 Euros. Ces initiatives forment un idéal d’altruisme horizontal qui se développe graduellement en parallèle au commerce conventionnel.

Le choix de l’usage : le reflet de changements technologiques, économiques et sociétaux

Trois antécédents ont permis la réussite des échanges en C2C. Le premier est la technologie. Si le commerce collaboratif n’est pas nouveau, c’est grâce aux plateformes digitales, à la géolocalisation et à Internet que ces systèmes se sont démocratisés. Ces groupes d’entraide ont pu atteindre une toute nouvelle échelle grâce aux réseaux sociaux. En effet, de nombreux intermédiaires virtuels tels que Airbnb, Blablacar, mettent en contact les consommateurs. Des plateformes rassemblent tous les "partageurs" dans le monde. C’est le commerce du "winner takes all" : le plus gros réseau est le plus attractif et garde sa place de leader. 
Un second facteur est le changement économique, la crise financière pendant les années 2008, 2009 et 2010 instaurant un flou sur les budgets des ménages. Les particuliers mettent alors à profit la collaboration avec leurs pairs afin d’accéder à des services moins chers voire, gratuits ou d’augmenter leur revenu en offrant eux-mêmes des services. Aussi, face à un avenir économique instable, beaucoup sont prêts à renoncer à posséder un bien à forte valeur ou tente de rentabiliser leurs biens en les partageant. Par exemple, lorsque la voiture représente un investissement important aux yeux d’un particulier, il peut décider de proposer des sièges passagers sur Blablacar, ou profiter de covoiturages offerts. 
Enfin, le changement sociétal est à l’origine du succès collaboratif. Porté par les plus jeunes, notamment les générations Y et Z, consommer prend une symbolique différente dans les esprits. De plus en plus mobile, ils envisagent des moments de vie avec des « solutions » d’emprunt et de location alors qu’auparavant l’acquisition de biens venait répondre à des étapes vie. C’est aussi une tentative de reprise de contact humain. Digitale ou physique, la collaboration permet de rapprocher des particuliers dont la consommation s’est déshumanisée et individualisée. 
Les initiatives sont très diversifiées. Virtuelles ou purement physiques, locales ou planétaires, elles sont marchandes ou non-lucratives. Elles se basent sur des échanges de services purs ou sur le partage de capitaux. Selon le Professeur Decrop, leur volonté repose sur trois phénomènes "Réseau, précarité et confiance". 

L’Économie collaborative : l’opportunité de se créer de nouvelles ressources

L’économie du partage est avantageuse pour le consommateur. Elle permet en premier lieu d’accéder à de nombreuses ressources qui nous étaient proscrites auparavant, pour des raisons financières ou structurelles. Le collaboratif ouvre une voie de consommation vers des biens que l’on ne peut financer seul. Le prix est amorti dans le groupe d’échanges. C’est aussi une question de proximité. Par exemple, comme le souligne Alain Decrop, le covoiturage donne accès à des trajets moins chers dans des zones rurales dont le réseau de transport en commun est pauvre. 
Même, le C2C flexibilise les marchés, ajoutant une seconde couche d’échange à la transaction traditionnelle de l’achat, elle permet à l’acheteur de se faire offreur de valeur par son bien ou son expérience. L’offre s’en voit décuplée, elle s’élargit des producteurs traditionnels vers les consommateurs. Dès lors, dans un moment de déséquilibre où la production est insuffisante par rapport au besoin, le particulier vient fournir le manque à gagner avec une offre d’emprunt ou de seconde main. Sans changer la structure et la nature de l’industrie productive, l’économie collaborative laisse place aux changements contingents, "Airbnb permet d’accueillir un afflux touristique momentané sans construire de nouveaux hôtels" illustre le Professeur Alain Decrop
C’est aussi l’encouragement à transformer une passion en activité lucrative avec un moindre investissement. Dans les réseaux collaboratifs, l’amateur a accès à un bassin de clients potentiels. Grâce au partage des outils et ressources dans ce même groupe, il loue, prête ou adopte les outils communs pour produire de la valeur. Il prend parfois le risque d’innover, de proposer un concept innovant parce que le risque est dilué au niveau de la communauté. Le Professeur cite notamment Menu Next Door, plateforme permettant à des amateurs de cuisine d’en inviter d’autres à goûter leurs plats, dans leur logement. 

Le partage : des bénéfices à nuancer

Nombreux sont les acteurs du collaboratif à faire appel aux enjeux environnementaux et à une volonté de consommation durable. En effet, le commerce de l’usage apparaît être l’occasion de produire et d’acheter un bien non pas pour une occasion mais d’optimiser son utilisation vers plusieurs personnes. C’est la réduction du gaspillage, de l’objet prenant la poussière, pour une augmentation de sa productivité vers d’autres personnes. L’économie collaborative fait une promesse forte qui doit cependant être nuancée par des "effets de rebond". Les économies faites en collaborant sont perçues par le partageur comme l’opportunité de consommer plus ou gaspiller plus ailleurs. Car il fait des économies, le particulier s’autorise des dépenses supplémentaires, aussi dans des industries polluantes. De même, parce qu’il rentabilise l’utilisation de son bien par le partage, il l’utilise de façon moins raisonnée. Par exemple, le covoiturage amène parfois à rouler plus souvent ou à s’offrir un billet d’avion.
En définitive, c’est l’acquisition même qui semble décrédibilisée par le partage. "Comme on peut revendre, prêter, comme on le souhaite, on achète sans perspective de faire durer le produit", souligne le Professeur Alain Decrop. 

L’Économie collaborative : l’opportunité de se créer de nouvelles ressources

Est-ce une menace pour le commerce traditionnel ? Selon Alain Decrop, l’économie collaborative est d’abord complémentaire aux entreprises conventionnelles. D’abord car l’accès n’est par essence pas possession. En effet, le partage induit une perte de liberté individuelle pour celle du groupe. Aussi, l’amateur ne bénéficie pas de la crédibilité de réputation et d’expertise d’un commerce traditionnel. En effet, dans un cadre d’échange au cas par cas, le partage n’implique pas toujours la protection légale du consommateur et du créateur. Le particulier n’a pas non plus la même orientation marchande que le commerçant. Il souhaite généralement compléter ses revenus, fait évoluer son activité à son échelle de particulier et n’a aucune ambition de concurrencer les leaders du secteur. Pourtant, ces initiatives personnelles apparaissant inoffensives peuvent influencer les choix de la demande à l’échelle agrégée. On pense notamment à la concurrence entre covoiturage et transport ferroviaire. Les commerçants traditionnels ne peuvent pas ignorer le phénomène collaboratif. 
Le Professeur développe les différents types de stratégies de coexistence entre commerce conventionnel et collaboratif, entre coopération et concurrence : 
•    un commerce conventionnel peut d’abord voir la création d’une communauté collaborative dans son secteur, non comme le vol d’un bassin d’acheteurs potentiels, mais au contraire une voie de communication vers un nouveau public. En s’associant avec le réseau social TripNCo, sous forme de bannières publicitaires visibles sur le site, le tour opérateur Nomad atteint les touristes isolés qui souhaitent partager leur voyage. 
•    Le partenariat entre commerce collaboratif et conventionnel peut aussi se fonder sur l’amélioration du service collaboratif. Celui-ci est risqué car il est à l’échelle de petits groupes et échappant au cadre strict d’une production, d’une loi. Le commerce conventionnel peut donc fournir au collaboratif les atouts de confiance et de protection qui lui manque par un partenariat. On pense notamment à l’association entre l’assureur AXA et le covoitureur Blablacar dont le but est de sécuriser les trajets partagés. 
•    L’alliance peut être "stratégique" pour une industrie en place. Elle vient renforcer la place de leader d’un secteur par sa coopération avec un acteur de l’économie collaborative. Alain Decrop cite le partenariat entre Citroën et MultiCity à Berlin. D’une part, il y a la force de l’idée de MultiCity de partager les automobiles dans la capitale allemande, dans le but de réduire le trafic et la pollution urbaine. D’autre part, il y a l’expertise du constructeur automobile qui propose le développement d’un réseau de voitures électriques. C’est alors selon le professeur, un moyen d’établir un monopole innovant et pionnier du transport électrique et collaboratif. 
•    A inverse, la coexistence entre commerce conventionnel et collaboratif peut aussi se faire dans la compétition. La différentiation en est la première stratégie. Elle "reste une réponse classique mais pertinente" selon Alain Decrop. Plutôt que d’améliorer l’équivalent collaboratif d’un service par le partenariat, une firme traditionnelle peut utiliser les faiblesses de l’économie du partage pour valoriser son offre. Il s’agit là "d’offrir ce qu’un prestataire particulier ne peut proposer" 
•    Sans s’allier avec un acteur du collaboratif, le commerce conventionnel peut en imiter les valeurs et « reprendre les codes » pour développer son service. L’entité traditionnelle peut utiliser son réseau de clients déjà acquis pour construire sa propre communauté collaborative. Elle élargit son activité vers le collaboratif et gagne en visibilité, avec pour arguments d’attractivité la confiance traditionnelle qu’on lui accorde. Décathlon, acteur immanquable de l’équipement sportif en B2C, lança le "Trocathlon" cite le Professeur Decrop. Cette initiative de partage de produit à renforcé la modernité du distributeur tout en attirant des clients en magasin, achetant en parallèle des échanges collaboratifs. 

L’usage au service du commerce : le cas « Make It » de Leroy Merlin

Usage et accès : une nécessité pour le commerce du bricolage

Matthieu Degeorges et Antony Guinvarch, co-fondateurs de Make It Store de Leroy Merlin, étaient, avant son lancement, chefs de produit pour Leroy Merlin. À l’époque, les deux collègues ont une problématique commune, malgré leurs rayons différents. La demande est une niche d’acheteurs connaisseurs, et ayant les revenus et le temps pour se consacrer au bricolage. Car l’apprentissage des techniques demande de la patience et l’achat d’un matériel pointu, les potentiels créateurs font face à un investissement qui décourage une majorité de la population. C’est donc par le constat d’un accès difficile aux ressources, de techniques et machines, que Matthieu Degeorges et Antony Guinvarch ont développé le lieu collaboratif Make It pour Leroy Merlin. En effet, ils ne sont pas seuls à remarquer l’opportunité du partage du capital humain et matériel dans le secteur, par exemple Allovoisin, Stootie, Troc’Heures.fr, SuperMano.fr proposent une entraide locale. À Make it, 70% de la clientèle sont des jeunes femmes, segment statistiquement moins bricoleur en France.
Comme ManoMano, Make It se base sur la réputation de Leroy Merlin pour crédibiliser son espace. Seulement, le contact humain, l’expérience de projets sont concentrés dans l’atelier. C’est donc la porte ouverte à l’émulation commune. Si les échanges collaboratifs en C2C sont généralement isolés, les clients de Make It collaborent pour leur projet et observent, participent aux projets des autres consommateurs. Make It souhaite apporter une solution au changement sociétal cité précédemment par le Professeur Decrop. "Nous ne vendons pas un couple service-produit, nous vendons une expérience" mentionne Antony Guinvarch. Rendre une place à l’amateur, valoriser l’instant de shopping et humaniser la consommation sont les aspirations de Make It. 
Un service de projets : lorsque l’accès valorise l’achat
Make It est un concept store développé au cœur de Paris, avec une boutique centrée sur la création de produits. La fabrication se fait en collaboration avec un vendeur expert, "un coach" et en utilisant les outils usuellement vendus par l’enseigne. Dans le magasin Make It, les outils sont laissés à disposition, sous l’œil des vendeurs, et accompagnés d’espaces communs de réflexion, pour concrétiser l’idée du client et de quelques rayons de vente. 
Le problème de l’accès aux ressources reste le fondement du concept Make It. Selon Matthieu Degeorges, des clients qui n’ont "pas la place", "pas les outils", ni "les compétences", se présentent aux portes de Make It, avides de développer par leurs efforts un objet personnalisé. Ici, le collaboratif ouvre à de nouveaux publics, pas forcements habitués de l’enseigne tout en attirant l’intérêt des avertis, qui viennent approfondir leur passion, débloquer des problèmes. 
C’est donc un atout de visibilité pour la marque gagnant-gagnant pour Leroy Merlin. L’enseigne traditionnelle sert à la confiance de l’atelier collaboratif tandis que Make It crée une nouvelle demande pour Leroy Merlin. Ce commerce est pour le cas de Leroy Merlin, en cohérence avec ce qu’a souligné Alain Decrop dans le partenariat commerce conventionnel et commerce collaboratif, l’occasion de valoriser l’activité de vente. L’espace de création est structuré pour "qu’en enfilade", on puisse être attiré vers les produits en vente.

Le collaboratif : au cœur des  valeurs de Make It

Le personnel y prend des responsabilités nouvelles de moins en moins centrées sur les produits. Plus que de vendre un bien, « il fait le bien avec le client ». À la fois acheteurs et vendeurs se sentent responsabilisés autour d’un projet en équipe. Son leader en est le client. « Le client n’a pas l’impression de dépenser de l’argent » selon Antony Guinvarch. Son aspiration première est "la fierté de faire soi-même" et "de le montrer à son écosystème". La valeur du magasin est l’esprit de communauté, l’altruisme. Les valeurs du partage et de la reconnaissance sociale que recherchent ces nombreux prestataires de l’économie collaborative, Make It en fait un positionnement commercial sincère. La seconde raison de déplacement est l’usage. Anticipation, conception, fabrication, sont au cœur du parcours de shopping. Au-delà d’un triptyque besoin-recherche-achat, l’expérience se diversifie vers des dimensions sociales et réactives. L’attraction est aussi digitale. Les liens créés en magasin sont traduits sous forme de groupes Facebook, forums, dans la sphère virtuelle. "En 5 mois, on est arrivé à 5 000 abonnés sur Instagram" dit Antony Guinvarch. Leur business model est donc omnicanal mais reste en réflexion. Comment étendre cette réussite ? Comment faire revenir le client ? Comment s’adapter aux changements de besoins ? Face à la concurrence du e-commerce, à l’accroissement des mobilités et à l’urbanisation, le client n’a plus le désir, le temps, les moyens de transport, pour la seule acquisition d’un produit. C’est, pour les intervenants, l’ère du "Faire" qui permettra la survie des enseignes physiques de la distribution dans le secteur. 

La location : le cas de L’Habibliothèque

La location de vêtements : le contrepoint de la fast-fashion

Lancée en 2014, L’Habibliothèque est une initiative familiale, motivée par l’envie de "consommer plus intelligemment" selon sa co-fondatrice Anahi Nguyen. Un client y accède à la location de 3 pièces par mois dans un large choix de collections haut de gamme, par un abonnement mensuel. À l’instar de l’américain Rent-The-Runnaway, Anahi Nguyen, co-fondatrice de L’Habibliothèque, eu pour ambition d’accoler les consommations avec le rythme effréné de la mode haut de gamme, sans accumuler les pièces. Le premier argument de ce concept de location est donc la réduction du gaspillage, optimiser l’utilisation des produits. En effet, le secteur de l’habillement dont le maître mot : la mode, implique une industrie très segmentée et qui évolue rapidement. L’innovation saisonnière induit que le vêtement devient rapidement obsolète, n’est porté que quelques fois. Le capital est accumulé dans les étagères. La location apporte alors la solution d’un "Dressing" commun, où chaque client peut en emprunter un produit pour un temps. 
C’est aussi l’occasion d’offrir l’expérience de la mode haut de gamme à des amateurs au porte-monnaie plus mince. Sur le segment haut de gamme du secteur, les acteurs de la distribution souffrent de la montée de géants de la fast-fashion tels que Primark ou H&M. Dans une industrie en innovation constante, le vêtement devient un consommable dont le prix est un principal facteur d’achat. La réduction des coûts contrainte par des standards de qualité, la location est l’occasion de créer une offre qui réconcilie un positionnement d’excellence avec le consommateur qui répète de plus en plus fréquemment ces achats. 

Une logistique lourde d’un réseau de location

Démarrant avec une boutique parisienne, Anahi Nguyen met son expertise dans le secteur de la mode à profit pour fournir ses rayons. En partenariat, de nombreuses marques approvisionnent L’Habibliothèque au fil des saisons. La fondatrice du concept nous partage ses difficultés dans les premières années. La location requiert une logistique lourde. Elle induit "une rotation perpétuelle" des produits. Le bien, loué, opère donc un cycle qui doit être suivit et renouvelé, à l’opposé du commerce du sell-and-forget. La technologie a permis à Anahi Nguyen et son équipe de faire suivre les besoins de performance logistique avec la croissance de leur commerce, jusqu’à 3 000 abonnés. L’usage de puces RFID, garantissant le suivi des pièces et la transformation du « dressing » d’un lieu physique vers un site en ligne, permet de synchroniser le service avec l’accélération des commandes. La location implique aussi des acteurs adjacents au client. Dans le cas de L’Habibliothèque, le produit circule entre créateurs, boutique, clients et services de pressing. Ce business model digital, en écosystème, présente un risque de perte de contrôle sur la qualité du service. Il est pris en main par Anahi Nguyen par l’intégration du service de nettoyage des produits. 

Une industrie de niches

L’ancienne fondatrice rappelle que la location reste un comportement marginal pour l’habillement, malgré l’engouement des médias pour le concept. "Ici, qui loue ses vêtements ?" demande-t-elle au public du Petit-Déjeuner du Commerce 4.0. Une main fut levée. De nombreux modèles de réseaux, de location ou non, tels que Amazon, Rent-The-Runnaway ou Uber, ont attendu plusieurs années avant de s’avérer rentables. " Il faut arriver à tenir dans le temps" évoque Anahi Nguyen sur ce modèle d’affaires. Il demande en effet une trésorerie endurante, mais aussi la capacité de distinguer l’occasion commerciale du phénomène passager. L’Habibliothèque fut récemment rachetée par Une Robe Un Soir. L’ambition y est de mutualiser les clientèles pour augmenter les échelles de production du service et réduire les coûts moyens. C’est aussi l’occasion de diversifier la gamme d’Une Robe Un Soir vers l’habillement quotidien. 
Les modèles de location de vêtements sont nombreux mais aucun n’apparaît émerger comme leader. La logique du winner-takes-all citée par Alain Decrop ne prend pas dans ce secteur aujourd’hui. Le modèle d’affaires reste actuellement un marché de niche, au futur partagé entre risques et promesses fortes. 


Conclusion

L’économie collaborative est la consommation via l’usage au détriment de la propriété demandent une révision de nos modèles d’affaires traditionnels. Il ne s’agit pas d’une destruction créatrice autour du partage des ressources mais de faire coopérer vente traditionnelle et consommations collectives. Surtout, l’âge de l’accès révèle une reprise du pouvoir de la part des consommateurs. Ils souhaitent gagner en responsabilité, faisant de la consommation un acte quasi citoyen. Le commerce de l’usage appelle à la valorisation de circuits plus courts, des enjeux environnementaux et des liens sociaux. Il demande un investissement fort du commerce, qui ne peut croître sans l’engouement et la participation des acheteurs. Comme le rappelle le Professeur Olivier Badot : "le commerce collaboratif et la location sont en vogue et apparaissent comme des formats commerciaux alternatifs a la distribution classique mais ne sont pas sans poser de problèmes d’efficience appréhendables par un triptyque analytique empruntant à la Théorie des coûts de transaction et intégrant : l’attitude des consommateurs, les contraintes économiques (notamment les coûts logistiques) et la recherche du design organisationnel optimal".

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