Comment améliorer l’impact écologique de la supply chain du textile et de la mode ?

Spécialiste de la mode et technologies tout au long de la supply chain, la Chaire Lectra ESCP a été invitée à participer  à la table-ronde organisée le 12 avril par Big Blue Project, "Gestion responsable de la chaîne logistique". 

Un événement organisé par The Matter

 Logo de l'événément The Blue Project organisé par The Matter

L’événement Big Blue Project, organisé par The Matter, concept store éco-responsable et par l’Atelier Meraki, résidence pour la jeune création, a tenu son engagement pour sa première édition, celui de sensibiliser les acteurs de l’industrie de la mode et du textile aux nouvelles pratiques environnementales. Lorsque la notion de responsabilité est introduite dans la chaîne logistique de l’industrie du textile-habillement, on s’aperçoit très vite qu’il faut repenser la chaîne dans sa globalité, de la fibre au consommateur.

Valérie Moattie, co-directrice scientifique de la Chaire Lectra - ESCP Mode et Technologie; Barbara Legras, consultante en développement de marque pour la plate-forme de sourcing BrandjoysAlexia Tronel, créatrice la marque de prêt-à-porter Atelier Bartavelle et Marguerite Dorangeon, fondatrice du service aux consommateurs Clothparency, ont évoqué avec Olivia Chammas, co-fondatrice de The Matter, quelques uns des grands challenges posés par la mise en place d’une chaîne logistique responsable, et les solutions potentielles affiliées. 

La mode et le développement durable : une coexistence à construire

La mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde, juste après l’industrie pétrolière et on ne peut que constater son retard dans les actions concrètes mises en place en faveur du développement durable, sur les différents maillons de la chaîne. Les fibres d’origine animale représentent 1/3 de la production mondiale et les 2/3 restant concernent les fibres issues de la pétrochimie. Quant aux fibres naturelles, c’est le coton qui est majoritaire, alors que c’est la plante qui nécessite le plus d’eau, contrairement au lin et au chanvre. Il faut compter 200 000 litres d’eau pour produire 1 tonne de textile.

Défi n°1 : l’entretien

Parce qu’ils sont aussi les plus visibles, on pense souvent à la fabrication et au transport comme les étapes les plus préjudiciables à l’environnement, avec le coût social le plus élevé.  Or, 80 % des rejets de CO2 et de produits chimiques se produit au moment de l’usage  des vêtements. L’entretien implique une quantité d’eau et de produits chimiques impressionnante, sans compter que les enductions et les traitements préalables chimiques sont dégagés au lavage.

Une solution : l’éco-conception

Prévoir l’éco-conception des produits en amont - c’est-à-dire la fabrication sans l’utilisation de matière toxique en premier lieu, mais aussi la prise en compte de l’environnement dans toutes les étapes du cycle de vie du produit - permet de réduire les impacts environnementaux, de préserver les ressources et de traiter plus facilement es déchets, à un coût plus faible.

L’enjeu innovation : concevoir un vêtement qui nécessite moins de lavages à l’usage

Défi n°2 : la récupération

C’est un sujet au coeur de la logistique durable car tous les acteurs sont confrontés à la difficulté de récupérer. En France, sur les 600 000 tonnes de produits textiles mis sur le marché, seulement 100 000 tonnes parviennent à être recyclées.

Une solution : transformer les déchets en ressources

En 2007, la France a été le premier pays a avoir adopté une loi sur la Responsabilité Elargie des Producteurs de Textiles d’habillement, Linge de maison et Chaussures qui vise à mettre en place une filière de recyclage performante d’un point de vue économique, sociétaire et environnemental. Eco TLC est l’organisme né de cette initiative légale, chargé de gérer les liens entre les metteurs en marché, les collectivités territoriales, les citoyens, les opérateurs de tri et les projets de R&D. En 2019, Eco TLC s’est fixé l’objectif de récupérer 300 000 tonnes de produits textile. En parallèle, la Fibre du Tri a mis en place 41 700 points de collecte pour que les citoyens puissent déposer leurs produits textiles usagés et leur donner une deuxième vie.

L’enjeu innovation : diminuer le surcoût d’une fibre recyclée (actuellement 30% plus cher qu’une fibre neuve). A noter, l’entreprise anglaise Worn again travaille à rendre la fibre recyclée plus résistante et viable économiquement.

Défi n°3 : le stock

En mars dernier, H&M a annoncé un chiffre alarmant : 4, 3 milliards de dollars d’invendus. Le géant suédois est loin d’être le seul à rencontrer des difficultés pour écouler son stock. Nombreuses sont les entreprises qui ne déstockent jamais et qui brûlent l’intégralité de leur stock, une décision aux antipodes de la mode durable. Ces entreprises souffrent économiquement du modèle de la fast fashion.

Une solution : la reverse logistique 

La reverse logistique est un processus eco-friendly de planification, de mise en œuvre et de contrôle des flux de matières premières, des encours de fabrication, des produits finis et de l’information relative à ces flux, provenant du consommateur en direction du fabricant. La reverse logistique a pour principaux avantages de permettre de réserver la capacité de production et de s’approvisionner en flux tendu.

L’enjeu innovation = la gestion du coût des retours et le recyclage effectif des matières.

Défi n°4 : le business model des marques responsables

Les freins rencontrés par une marque de mode engagée dans le développement durable pour mettre en place son concept sont nombreux, à plusieurs niveaux notamment : le sourcing des bons fournisseurs, le recrutement des savoir-faire appropriés, le prix de vente et le prix final.

Une solution : le système de prévente

Lorsqu’une marque choisit de passer du modèle B2B au modèle B2C, elle s’affranchit rapidement du rythme des collections et des contraintes liées à la marge distributeur.

Le système de prévente permet de savoir quel produit va marcher à l’avance et ainsi de  gagner en cumul de production de quantité. Ce système supprime le stock et le gaspillage et permet de redistribuer directement la marge dans le système pour sourcer les meilleurs fournisseurs.

A noter : l’initiative américaine Sustainable Apparel Coalition, créée en 2009, a pour objectif de limiter les impacts environnementaux négatifs de l’industrie textile tout en maximisant les impacts positifs sur les partie-prenantes (salariés, communauté, etc.).  Une plateforme d’auto-évaluation, Higg Index, permet aux marques et aux fournisseurs pour mesurer et partager entre eux leurs performances environnementales et sociales.

Défi n°5 : le consommateur, de l’intention à la réaction

Lorsque les consommateurs sont interrogés, il apparaît que la question de l’impact environnement n’est pas encore centrale dans leurs préoccupations. Or, les notions de qualité et la production locale (qu’impliquent par exemple le made in France) se démarquent clairement comme des leviers dans leur processus d’achat. Plus de 50% se déclarent prêts à payer entre 5% et 30% plus cher pour un produit textile fabriqué et distribué dans un dynamique responsable et durable. (cf. enquête Clothparency en cours)

Une solution : la transparence 

La transparence implique la circulation d’une information fiable et objective, qui suscite l’adhésion, à l’opposé d’une information discutable à coups de grandes déclarations marketing qui génère plus de méfiance que de ralliement. La transparence implique également la traçabilité, l’accessibilité et le juste prix des produits de mode. 

Le consommateur sera le pivot grâce auquel les marques s’engageront véritablement dans le développement durable. Le consommateur, acteur à part entière du changement, n’a jamais eu autant de pouvoir qu’aujourd’hui. Il est temps d’utiliser ce pouvoir à bon escient.

L’enjeu innovation = développer des produits à prix égal qui soient plus durables. A prix égal, les consommateurs achèteront les produits respectueux des travailleurs et de la planète

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