Retour sur le Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 de la Chaire Prospective du Commerce dans la société 4.0 organisé le 6 février

Les villes sont confrontées à de multiples enjeux (environnementaux, technologiques, sociologiques, crise du trafic…) qui remettent en cause et redéfinissent leur dynamique commerciale. L’objectif de ce petit-déjeuner fut de comprendre les nouvelles dynamiques du commerce de centre- ville et ses leviers de valorisation. Comment sera la ville commerçante de demain ? Comment évolue le commerce dans la ville ? Quels sont les leviers/attributs dont disposera la ville demain pour renforcer son attractivité ? 

Le Petit-Déjeuner du Commerce 4.0. s’est déroulé avec la participation de Pascal Madry, Docteur en aménagement et urbanisme, et directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, d’Arnaud Ernst, directeur associé de AID Observatoire et de Thierry Bisseliches, fondateur de la start-up My Pop-up store. Les débats étaient animés par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen à la recherche de ESCP et Directeur scientifique de la Chaire E. Leclerc/ESCP, et du Professeur Adeline Ochs, coordinatrice générale de la Chaire E. Leclerc/ESCP. 

Chaire E. Leclerc ESCP

Le Professeur Olivier Badot introduit le débat en rappelant les enjeux actuels sur le commerce dans la ville, qui en fait un thème hautement d’actualité : le vote de la loi ELAN, l’Opération de Revitalisation des Territoires (ORT) dans le cadre du plan "Action cœur de ville", ainsi que la question de la plateformisation et de la digitalisation du commerce urbain, autant d’éléments mêlant à la fois des enjeux spatiaux et des enjeux digitaux. Il interroge sur les leviers de revitalisation en citant certains axes : l’artisanat, les réglementations, le drive piéton, les tiers-lieux, les programmes de planification, la plateformisation digitale, les nouveaux concepts commerciaux…
 

Commerce et ville : un regard historique et macro-économique

Le Docteur Pascal Madry introduit son propos en évoquant un chiffre fort : à la question posée "où consomment les français au sein d’une agglomération ?", on apprend que seuls 17% des français consomment dans les centres villes de taille moyenne en France. "L’essentiel de la consommation se déroule en périphérie, dans les zones commerciales", ajoute-t-il. "Les centres ville sont peut-être situés au cœur des territoires mais ne sont plus au cœur des modes de consommation en France." Mais alors, pourquoi ?

Le magasin : une interface d’échange intemporelle 

"Le magasin existe depuis que la ville existe", continue Pascal Madry. Et depuis tout temps, cette interface commerciale a permis de médiatiser quatre sortes de flux : 
•    un flux d’information, dans le rapport oral qu’entretien un consommateur avec un vendeur ;
•    un flux d’échange de biens, lorsqu’une transaction est effectuée ;
•    un flux monétaire, qui intervient au moment du paiement ;  
•    un flux social, via les interactions physiques.  

Au fil du temps, la boutique a évolué lors de différentes "révolutions commerciales", caractérisées par des changements dans les régimes de production, d’urbanisme, de mobilité et de consommation. De la petite boutique à la grande surface, d’une mobilité urbaine à une accessibilité périphérique, le point de vente est aujourd’hui confronté à "l’électronisation partielle des fonctions de distribution et de commercialisation", précise Pascal Madry. Cette révolution commerciale numérique a apporté de nouvelles interfaces de consommation, au travers de tablettes et autres écrans, transcendant le flux d’information et le flux monétaire initialement physique entre vendeur et acheteur. Pour la première fois dans son histoire, et malgré toute l’évolution de ses formes et structures, "la boutique n’est plus le point de passage obligatoire pour commercer" constate ce-dernier.  

Digitalisation du commerce : des controverses urbanistiques

Si la boutique a perdu le monopole de la transaction marchande, comment organiser et repenser le territoire commercial ? Pascal Madry propose deux axes d’évolution : 
- une désintermédiation totale du commerce, qui serait alors remplacé par des plateformes de e-commerce 
- un processus de "reterritorialisation" qui consiste à ré-ancrer le commerce dans la ville, avec de nouveaux éléments digitaux structurels. 

Pascal Madry souligne la disparition d’une ancienne controverse urbanistique entre boutiques et moyennes surfaces, centre-ville et périphérie, ces espaces luttant maintenant l’un et l’autre contre les nouvelles formes de commerce dématérialisées. "Les deux représentent un espace de socialisation, ce sont des lieux où l’on fait encore société ; mais en revanche, le livreur DHL lui, ne fait pas du tout parti de l’espace public." 

 
Comment repositionner le centre-ville des villes moyennes pour redynamiser le commerce ?

Dévitalisation du commerce en centre-ville : des causes multiples 

Arnaud Ernst, directeur associé du cabinet de conseil AID Observatoire, qui a pour tradition de travailler en collaboration avec les collectivités de villes moyennes, souligne que le problème de dévitalisation de leurs centres villes n’est pas seulement lié à la dynamique du commerce, mais concerne aussi d’autres thématiques d’aménagement transverses. 
Parmi ces thématiques amenées par Arnaud Ernst, on retrouve celle de l’habitat, du taux de chômage, de la vacance dans le logement, de la délocalisation de fonctions de centralité en périphérie, et la construction de surfaces commerciales en dehors des villes. Autant d’indicateurs venus se suppléer à celui de la vacance commerciale des commerces en centre-ville, pour monitorer la performance des villes moyennes. "On parle souvent et on a commencé par parler de la vacance commerciale parce que ça se voit", souligne-t-il, "mais finalement, elle en serait sûrement une conséquence, parce qu’à partir du moment où il y a moins de clients, et bien les commerces vivent moins bien." Sur ce, Arnaud Ernst mentionne également d’autres variables impactant les modes de consommation telles que la baisse du pouvoir d’achat, l’augmentation du nombre d’achat effectué en ligne, et une diminution dans les ménages, d’achat de produits de consommation courante. 
Ainsi, on retrouve un phénomène de dévitalisation du commerce en centre-ville à l’équation complexe, engendré par l’évolution des modes de consommation, la conjoncture économique et les choix effectués par les collectivités en termes d’aménagement du territoire. 

Des leviers d’action : le plan "Action cœur de ville"

Arnaud Ernst salue l’accompagnement proposé par l’ancien ministre de la Cohésion des Territoires Jacques Mézard, au travers du plan « Action cœur de ville », qui alloue une enveloppe de 5 milliards d’euros à 222 villes moyennes françaises pour redynamiser leur centre-ville. 
Un dispositif qui viendra toucher diverses thématiques urbaines, telles que la rénovation de l’habitat, le freinage des actions concernant le développement de la périphérie commerciale : "on a par exemple à Mont-de-Marsan 3000 m2 de grandes surfaces pour 1000 habitants, c’est trois fois plus que la moyenne nationale", illustre Arnaud Ernst. Ce-dernier ajoute un plan d’actions visant à aider au maintien et au développement de l’emploi dans les cœurs de villes, à la maîtrise foncière, à la redéfinition des conditions d’accès en centre-ville, aux politiques de stationnement et de positionnement alternatif : "récompenser le consommateur qui vient en commerce physique. Il faudra que les villes demain améliorent le paysage urbain, améliorent l’expérience client avec des terrasses, des bistrots, des halles, des marchés, etc." remarque-t-il enfin.  

Une responsabilité partagée individuellement et collectivement par les entreprises

Outre les actions mises en place par l’Etat et les décisions prises au niveau municipal, les commerces peuvent expliquer une partie du phénomène qui touche les centres villes : par la qualité de l’offre et de l’expérience d’achat proposés par ces derniers, mais également par leur accessibilité. En effet, les horaires d’ouverture des commerces sont souvent mentionnés comme un frein à la consommation important, et pour cause, Arnaud Ernst rappelle que: "les commerces physiques au sein des villes moyennes sont ouverts 22% du temps que les actifs ont à consacrer à un acte d’achat. "

Les pop-up stores, un autre levier d’action possible ?

Qu’est-ce qu’un pop-up store ?

Thierry Bisseliches est le fondateur de my Pop-up store, une start-up qui développe et accompagne de nombreuses boutiques éphémères." Un pop-up store est une boutique physique à durée limitée", explique le fondateur, et dont les marques se servent pour deux raisons majeures : 
ou parce qu’elles ont une vocation "événementielle", avec un objectif de communication. Dans ce dernier cas de figure, les marques utilisent la boutique éphémère comme un média et s’appuient dessus pour créer des événements grand public.  

Thierry Bisseliches justifie le développement de boutiques éphémères par "divers bouleversements qui sont apparus dans le monde du retail et de la ville, des bouleversements qui sont aussi liés à internet, à cette électronisation du commerce et du flux de transaction et d’échange." Le fondateur constate en effet un déplacement des attentes des consommateurs avec Internet qui "préempte le commerce utilitaire, ce qui pousse davantage les commerces à se différencier de l’offre en ligne, et à justifier de leur présence physique." 
Autre intérêt, les boutiques éphémères, mises à la disposition des commerces par My Pop-up store, se situent en hyper-centre, car "on attend une expérience agréable du commerce, on a besoin d’un écosystème autour du commerce, de restaurants, de musées, etc. D’où effectivement l’intérêt de recentrer les fonctions autre que le commerce en ville pour qu’il fonctionne" déclare Thierry Bisseliches. Une présence en cœur de ville d’autant plus attractive qu’à ces emplacements, et notamment à Paris, il existe une tendance de surenchère importante des locaux commerciaux, nécessitant des moyens onéreux pour en acquérir le bail sur une longue période. 

L’impact du pop-up store dans la ville : entre démocratisation et diversification

On constate différents impacts possibles des boutiques éphémères selon le type de commerce impliqué. Elles démocratisent l’accès au retail avec des baux commerciaux peu chers compte tenu de la durée nécessaire : "on utilise la boutique comme un usage et non plus comme une possession, ça favorise l’accès au retail, notamment pour des acteurs qui n’auraient peut-être jamais eu de boutiques sinon" constate Thierry Bisseliches
Concernant la ville, les pop-up stores permettent une diversification de l’offre commerciale, avec de nouveaux acteurs indépendants et de nouvelles marques émergentes. Certaines marques usent aussi de « co-retailing » et s’associent pour vendre ensemble leurs produits. Pour les villes, c’est aussi la programmation possible d’un lieu dédié, uniquement utilisé par les pop-up stores : une garantie de loyer régulier et d’une liberté prise dans le choix des nouveaux commerces adhérents. Enfin, les boutiques éphémères représentent aussi un pont entre le réel et le virtuel, lorsque des pure players souhaitent, le temps d’une manifestation, s’incarner au sein d’un espace physique, dans une logique évènementielle avec souvent un pouvoir de mobilisation important.

Conclusion

Malgré une présence historique forte au cœur des villes, les commerces perpétuent leur fonction de lieux de sociabilité et d’échange au sein de l’espace public, et ce, malgré de turbulentes périodes de refontes et de changements, apparues au fil des siècles. Toutefois, l’apparition plus récente de formes de commerce dématérialisées bouleverse en profondeur les fondations mêmes sur lesquelles le commerce "traditionnel" reposait. Des suites d’une conjoncture complexe aux multiples parties prenantes impliquées, différents leviers d’actions se mettent en place, à l’échelle nationale et locale, par des acteurs privés et publics. 

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