Retour sur l'événement de la Chaire Lectra ESCP Mode et Technologie

Le 22 janvier dernier, la Chaire Lectra ESCP a organisé une table-ronde dédiée au management et à ses innovations dans le secteur de la mode à l’ère de l’industrie 4.0. 

Chaire Lectra ESCP Mode et Technologie

Autour de Valérie Moatti, co-directrice scientifique de la Chaire, plusieurs experts ont partagé leurs réflexions : Emmanuelle Léon et Cécile Dejoux, auteures du livre "Métamorphose des managers, à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle", Daniel Harari, directeur général, Lectra ; Sylvie Ebel, directeur général adjoint, IFM ; Liz Simon, leader product life excellence, Fashion3 et Alice Gras, présidente Hall Couture.


Les challenges du management face à l'intelligence artificielle

Les managers doivent aujourd’hui apprendre à interagir avec l’IA et l’intégrer progressivement en acculturant leurs collaborateurs. Il est fondamental de parler de l’IA sans tabou, de constituer des groupes de travail agiles et d’appliquer le design thinking pour innover et imaginer des applications concrètes. 
La collaboration (chacun s’attelle à réaliser une mission avec sa propre expertise), disparaît au profit de la coopération (face à un problème complexe, la co-création est source d’intelligence collective pour trouver ensemble la bonne réponse). L’IA remplacera certaines tâches, permettra aux travailleurs d’être assistés sur d’autres missions et augmentera certaines activités rendues possibles grâce à elle.
"Pour définir les métiers de la mode de demain, les bonnes solutions viendront du terrain", Cécile Dejoux.

La formation : plus ouverte et transversale 

L’IFM se transforme et a récemment pris 2 orientations majeures :
- Une union avec l’école de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne, pour créer une nouvelle école qui va accueillir 1 000 étudiants (du CAP au doctorat) sur 3 domaines (savoir-faire, management et création),
- Un partenariat avec ESCP pour un double diplôme entre le MSc International Fashion & Luxury Management de l'IFM et le Master in Management de ESCP.

Dans un environnement où le digital bouleverse les rapports du travail, la vision des métiers de la mode de demain est encore floue. Les jeunes le sentent très bien et ne se projettent pas forcément dans une carrière, ils adoptent un esprit free-lance. L’important est de leur donner les bons outils et de les préparer au mieux au marché du travail en développant leur esprit critique et leur capacité d’adaptation.


Expérimenter la transformation digitale

Pour Liz Simon, le business model historique de la mode n’est plus viable. Il faut repenser la chaîne de valeur de la mode dans sa globalité en intégrant le développement durable : "Let’s only purchase what we can sell with zero waste". 
Fashion3, un écosystème de 7 marques (Jules, Brice, Pimkie, Bizbee, Orsay, Rouge Gorge, Grain de Malice) a été créé au sein de la famille Mulliez pour mettre en place un modèle de transformation totale des process end-to-end, du design au sourcing, de l’évaluation des quantités à la géolocalisation des produits. 
"Dans cette transformation, l’IA en soi ne suffira pas sans "process innovation" et sans nouvelles compétences et expertises". 
Les grands groupes ont tous la même stratégie par rapport à la transformation digitale et savent ce qu’il faut faire mais se posent la question de la manière de l’exécuter. Par la lourdeur de l’organisation, ils sont devenus des sumos, à l’inverse des startups, ces boxers agiles. C’est nettement plus facile d’intégrer l’IA en partant d’une page blanche !
Fashion3 est en train de défaire ce qui a été créé depuis des décennies. Le denim a été choisi pour tester un process différent : le design avec Heuritech, le prototypage virtuel avec des avatars, la fabrication avec les sewbots (un modèle qui ne dépassera pas 25% de la production sur une catégorie). 
"Sur tous les "ouch points" de la supply chain, il y a des avancées que nous captons pour être plus près des besoins des clients. C’est la communauté qui va créer la stratégie de commande", Liz Simon.


L’émergence de nouveaux lieux 

"Penser l’espace c’est penser l’organisation : les open spaces, co-working, fablabs modifient le statut de l’entreprise comme une communauté d’appartenance. L’essor du télétravail invite à remanier les rapports au sein de l’équipe et avec le manager", Emmanuelle Léon.
Selon Alice Gras, les grands lieux d’innovation hyper-équipés posent un problème de convergence de volontés et de financement de profils transdisciplinaires.
Chez Hall Couture, il n’y a pas de hiérarchie entre les métiers. C’est une mécanicienne modèle qui gagne le mieux sa vie et qui emploie plusieurs assistants. Certains résidents ont leur propre marque et sont modélistes en free-lance pour des marques de luxe. Le lieu a toujours été équipé en fonction des besoins des résidents. En ce moment, une cabine d’essayage virtuelle Sizomatic vient en renfort de l’artisanat pour automatiser la prise de mesure. 


Un nouveau business model : Fashion on demand

Le numérique modifie la production avec des modèles de conception virtuels en temps réel : "au lieu de penser un projet par rapport à un besoin, on pense en temps réel avec des logiciels et des datas". L’IA transforme les modèles économiques : "au lieu de vendre un produit, on vend des expériences et un parcours utilisateur, avec deux variables clés, la pérennité et l’individualisation", Cécile Dejoux
Selon Daniel Harari, la plus grande révolution à venir dans la mode est le passage d’une vente sur stock à une vente à la demande. C’est lorsque le client aura passé une commande que le vêtement sera fabriqué. 
Après 4 ans de R&D, Lectra a sorti "Fashion on demand", une technologie dotée d’IA conçue pour adapter le produit aux choix et aux mesures du client. Cette solution permet de regrouper les commandes et de fabriquer de l’unicité en grande quantité. 
Ce nouveau modèle implique des changements dans les rôles de chacun :
- Les consommateurs seront plus impliqués et prescripteurs,
- Les créateurs devront penser leurs vêtements pour qu’ils soient personnalisables,
- Les relations entre créateurs, distributeurs et fabricants : ces derniers vont prendre beaucoup plus d’importance face aux demandes de personnalisation mais il est encore difficile de déterminer comment.
Chez Hall Couture, les créateurs travaillent à la demande ou en semi-mesure et leur challenge est plutôt de faire admettre le temps nécessaire à la création d’un produit. Cette authenticité séduit les clients. "Embrasser l’innovation, c’est fondamental mais le vrai sentiment de luxe, c’est de prendre soin du client, qui veut être habillé par, qui aime être sublimé par la main et le regard d’un créateur", Alice Gras.


Réflexions autour de l’homme augmenté

"Je ne crois pas que l’IA va remplacer beaucoup de personnes dans le monde de la mode. Elle va plutôt décupler les capacités d’un certain nombre d’intervenants et c’est très positif", Daniel Harari.
"Plus l’IA va se développer, plus le besoin d’actes créatifs fédérateurs et identitaires va être grand. Au-delà de la vente de vêtements, la mode va remplir de nouvelles missions, comme développer son empreinte sociale avec un label citoyen ou être un territoire d’expression pour la communauté", Cécile Dejoux.
"Plusieurs professionnels perçoivent l’IA comme un marketing cognitif qui va encore plus plus loin dans l’appropriation de nos vies, pour nous imposer un service dont on n’a pas forcément besoin. C’est un débat ouvert, pour avancer dans la meilleure direction. Même si les machines se dotent d’une conscience, il y aura toujours une forme de création humaine qui cohabitera avec l’IA, et ce d’autant plus qu’elle se projette grâce à des images qu’elle a reçues et qu’elle connaît", Alice Gras.
"Le premier geste de création, ce n’est pas sûr qu’il se fera sur un ordinateur. Le dessin reste la première façon de communiquer dans une équipe créative et un critère de sélection important dans les formations", Sylvie Ebel.
"Il n’y aucun silver bullet, nous devons tester une multitude d’outils. Il faut rester humble face au degré de changements nécessaires et accepter l’itératif et l’évolutif. Oui, ça va de plus en plus vite mais il faut bien démarrer ! "Embrace the process to integrate new things and learn ! "",  Liz Simon.
Le numérique va créer de nouvelles populations et de nouvelles valeurs. Les compétences numériques seront valorisées très fortement et on ne peut pas encore analyser l’impact du numérique dans les entreprises traditionnelles. De nouveaux modèles vont émerger car  finalement, il y a autant d’entreprises que de modèles à trouver.

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