Commerce 4.0 et durabilité

Lancées en décembre 2016, les rencontres mensuelles de la Chaire E. Leclerc et ESCP dédiées à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies sur le secteur.
Elles sont animées par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen de la Recherche ESCP et Directeur Scientifique de la Chaire en présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E. Leclerc et Président de la Chaire E. Leclerc/ESCP).

Le petit-déjeuner du 6 juin 2018

Le petit-déjeuner du 6 juin , le dernier de la saison 2, avait pour thème la durabilité avec la participation de la Professeure Laure Lavorata de l’université de Reims et auteur de l’ouvrage « Marketing et développement durable : du distributeur au consommateur », et de Jean Moreau, Co-fondateur et Président de Phénix.

Le concept de durabilité : origine et définition

La Professeure Laure Lavorata introduit le petit-déjeuner en apportant un éclairage académique sur le concept de durabilité. Ce concept est la résultante du lien entre l’éthique, le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elle définit l’éthique comme un ensemble de règles individuelles exprimant les valeurs personnelles d’un individu via son comportement. La RSE représente alors « l’application concrète par les entreprises des principes éthiques, tout en prenant en compte la notion de durabilité des actions humaines et de leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux. »

En reprenant la définition de Brundtland (1987), elle rappelle que la notion durabilité se définit comme « un développement qui permet aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans remettre en cause la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ». Elle est portée par trois dimensions : l’équitable (égalité, solidarité), le vivable (santé et environnement) et le viable (sur les modes de production et de consommation). Selon Blackburn (2007), la durabilité se décline sur « 3R », supposant le bon usage : des Ressources naturelles, des Ressources économiques dans le Respect des personnes et des êtres vivants.

Marketing et durabilité : une relation paradoxale, mais qu’en est-il réellement ?

Dans les mœurs, il peut paraître en effet difficile d’associer ces deux notions. Le marketing, dont l’objectif premier est « d’abord de faire consommer plus », souligne la Professeure Laure Lavorata, parait incompatible avec ces dilemmes éthiques. Elle discute des notions de marketing et de manipulation, par lesquelles les distributeurs sont souvent pris pour cible, accusés « d’influencer une personne par des moyens détournés et de falsifier des données pour arriver à leurs fins. »

Cependant, citant Peattie (2001), la Professeure précise que « le marketing, se place aussi dans une démarche qui va prendre en compte les problèmes sociaux, environnementaux et le bien-être des individus ». Alors que le marketing intègre peu à peu la notion de développement durable depuis les années 1970 avec l’apparition du « marketing vert », le Professeur Philip Kotler, qualifié par le Professeur Olivier Badot comme « l’un des pères du marketing social », l’intègre lui aussi en 2006, en incluant une dimension socialement responsable à cette discipline.

A ce jour, la Professeure Laure Lavorata définit le marketing durable comme tel : « c’est tout autant un état d’esprit qu’un processus qui se traduit par l’intégration du développement durable dans la stratégie de l’entreprise et qui se concrétise à travers toutes les étapes du marketing mix—de l’analyse de cycle de vie du produit à sa conception et à la fixation de son prix, à sa communication et sa distribution—tout en veillant aux intérêts de toutes les parties prenantes. »

Marketing durable et stratégies d’entreprises

Tout d’abord, pour mettre en place une stratégie de développement durable, l’entreprise doit « prendre en compte le rôle du consommateur et sa façon de consommer, en constante évolution au fil des années », explique la Professeure Laure Lavorata. Elle poursuit en citant quelques chiffres : « 63% des français privilégient la consommation de produits régionaux, et adoptent le phénomène du slow food, c’est-à-dire qu’ils acceptent que ça prenne du temps et qu’il y a des saisonnalités dans la consommation ». On consomme aussi mieux, comme le montre la Professeure Lavorata, avec l’exemple des produits BIO, intégrés de plus en plus dans la stratégie produits des distributeurs et des producteurs : « aujourd’hui, 60% des consommateurs français sont prêts à payer plus cher pour consommer ces produits ».

A partir de ce constat, différentes « stratégies durables » pour les entreprises sont possibles :

  • une stratégie dite « passive » via un respect à minima de la réglementation
  • une stratégie « défensive » en communicant de ce qui est fait dans l’entreprise
  • une stratégie « produit », en intégrant le développement durable dans la fabrication de ses produits
  • une stratégie « proactive », en intégrant le développement durable au-delà du produit, dans ces services, en interne
  • une stratégie « intégrée », par l’intégration du développement durable dans la stratégie globale de l’entreprise.

Cette dernière stratégie fut celle développée par l’entreprise Phénix, spécialisée dans l’économie circulaire, réduisant le gaspillage des acteurs de la distribution via la gestion des invendus.

Phénix, la seconde vie des produits

« Après avoir passé 5 ans en banque d’affaires, je me suis demandé si mon énergie était bien utilisée, si mes compétences étaient mises au service d’une cause qui me paraissait noble et utile », se souvient Jean Moreau.

De ces réflexions personnelles, et éthiques, est née l’entreprise Phénix, suite à un double constat terrain : d’abord, « le poids croissant des surplus et des déchets dû à un gaspillage tout au long de la chaîne », souligne-t-il. « Un tiers de la production est jeté, du champ jusqu’à l’assiette ». D’autre part, les fondateurs de Phénix ont constaté que d’autres acteurs pouvaient récupérer ces invendus pour en faire « quelque chose de plus constructif que les détruire », remarque Jean Moreau, comme les associations caritatives, les filières d’alimentation animale, ou les acteurs qui font du compost.

Phénix sert donc d’intermédiaire entre l’offre et la demande, via une interface digitale intelligente pour faire ce qu’on appelle du « smart waste management ». Entreprise sociale, elle est fière de son « ADN Business », vue par son co-fondateur comme une « voie médiane entre le capitalisme à l’ancienne et le modèle associatif ». « Nous sommes un social business, une entreprise à vocation » ajoute-t-il.

Entreprise sociale : le capitalisme au service de l’intérêt général

Phénix est une place de marché BtoB dotée d’une plateforme logistique, qui connecte des chefs de rayons, des industriels, des usines, des sites de productions qui vont déclarer leurs invendus par rapport à une date de péremption donnée qui définira leurs prix. Dans un premier temps, ils seront vendus au consommateur avec une forte promotion, « pour de la consommation responsable et engagée » précise Jean Moreau. Puis, si le consommateur n’en a pas voulu, ils seront proposés à la filière associative, ou, en cas de refus de cette dernière, acheminés vers la filière animalière, ou enfin, vers le compost. Si malgré toutes ces étapes il reste des déchets, « ce sont les déchets ultimes, qui partent à l’incinération ou en enfouissement », conclut-il sur la procédure de l’entreprise. Phénix propose ainsi d’adopter de nouvelles façons de trier les déchets, « plus structurées, mieux déroulées, et digitalisées », afin qu’ils soient récupérés et acheminés vers les autres filières.

« On permet aux entreprises, nos clients, de réduire leurs coûts de destruction par 3 ou par 4 » précise Jean Moreau, « mais aussi d’économiser des coûts de stockage, de manutention, de collecte, de transport, d’incinération ». Enfin, Phénix, c’est 100 000 repas distribués par jour grâce aux associations partenaires, et 30 millions de repas distribués depuis 2014, soit 5% de l’aide alimentaire nationale. « On est fier de notre impact économique mais aussi extra financier, liant le sens et la croissance », ajoute Jean Moreau.

Pour conclure, Michel-Edouard Leclerc soutient que « le développement durable s’impose comme un concept et comme une réalité ». Mais alors que des enjeux politiques et médiatiques peuvent créer des climats de friction pour les distributeurs dans leur politique de développement durable, Phénix, « par sa technicité, sa vision et son ambition, peut empêcher l’émergence de tensions frontales entre les acteurs, grâce à sa fonction d’intermédiation, et simplement répondre à la question ».

"The rise of the “Phenix”: giving a second life to food waste" est à lire ici. Il a été co-écrit par Valentina Carbone, Aurélien Acquier et Louis Chappet dans le cadre de la collaboration de PHENIX partenaire du cours Economie Circulaire à ESCP.

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