Les nouvelles donnes de la concurrence à l’ère du Big Data et du commerce digital ?

Lancées en décembre 2016, les rencontres mensuelles de la Chaire E. Leclerc et ESCP dédiées à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies sur le secteur.

Elles sont animées par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen de la Recherche ESCP et Directeur Scientifique de la Chaire en présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E. Leclerc et Président de la Chaire E. Leclerc/ESCP). 

Déroulé du Petit-Déjeuner du 10 janvier 2018

Le petit-déjeuner du 10 janvier avait pour thème : "Les nouvelles donnes de la concurrence à l’ère du Big Data et du commerce digital ?", avec la participation de Céline Delacroix, Secrétaire Générale de la commission commerce de la CCI région Ile de France, du Professeur Jean-Marc Daniel, Professeur à ESCP et de Jean-Rémi Kouchakji, co-fondateur de PayinTech.

Le petit-déjeuner du 10 janvier avait pour thème : Les nouvelles donnes de la concurrence à l’ère du Big Data et du commerce digital ? , avec la participation de Céline Delacroix, Secrétaire Générale de la commission commerce de la CCI région Ile de France, du Professeur Jean-Marc Daniel, Professeur à ESCP et de Jean-Rémi Kouchakji, co-fondateur de PayinTech

Les fusions et associations entre entreprises de la nouvelle économie et acteurs historiques du commerce se multiplient. Le "big data", considéré comme le nouvel or noir de l’économie numérique, s’immisce en tout lieu, à tout moment et se développe de façon importante. Ces mouvements stratégiques entre ces acteurs associés à la masse de données collectées transforment drastiquement les modèles et les stratégies sur ce marché. Autour de ce quatrième petit-déjeuner de la deuxième saison de la Chaire E. Leclerc/ESCP, les intervenants ont échangé sur la manière dont cette évolution stratégique modifie le jeu de la concurrence entre les acteurs du commerce.

"Data is the new currency of Internet"  

"Plus qu’une nouvelle ressource stratégique, il s’agit d’une nouvelle étape dans la révolution digitale" introduit d’abord Céline Delacroix. Aujourd’hui, les entreprises se tournent vers les services numériques pour se différencier. Elles collectent et exploitent commercialement des données personnelles, et développent de nouveaux avantages concurrentiels décisifs grâce à elles. 

Le Big Data, souligne Céline Delacroix, se caractérise par le volume des données captées, par la vitesse à laquelle ses données sont collectées et diffusées, et enfin par la variété des informations agrégées. La rupture se créée donc par le volume des données collectées mais également à travers des modèles d’analyse comportementale. 

Personnalisation des données et modèles prédictifs comportementaux

Une nouvelle forme de concurrence apparaît sur les marchés, avec des acteurs économiques plus efficients, et plus à même d’ajuster leur offre selon les besoins et les désirs des consommateurs. Par exemple, grâce au Big Data et à l’utilisation massive de ce type de données, Netflix est aujourd’hui capable de proposer des contenus personnalisés à chacun de ses abonnés ; Uber adapte son modèle d’affaires en ajustant ses prix en fonction de la demande et du temps.

De la même manière, la jeune entreprise PayinTech réussit à répondre aux besoins des consommateurs grâce à la captation de données personnelles sur leurs habitudes de consommation dans un milieu particulier : le voyage. Spécialiste du paiement par système de bracelets, auxquels est attachée une puce électronique, l’entreprise crée un écosystème immersif avec un fort impact communautaire pour une situation, de prime abord, gagnant-gagnant : "les consommateurs n’ont pas envie de sortir leur carte de paiement quand ils sont en vacances, retrouver cette vision de la banque et du monde du travail" souligne Jean-Rémi Kouchakji

Les commerçants bénéficient eux aussi de ce système : en recentrant l’usage du paiement au sein d’une puce RFID, "on se rend compte que la consommation des clients augmente" ajoute Jean-Rémi Kouchakji. Pourquoi ? Tout d’abord par le système de rechargement de la carte en amont des dépenses prévues, par l’augmentation des achats impulsifs en milieu immersif, et enfin par les statistiques générées grâce à ce modèle : "on récupère de la très small data, mais très smart data" explique Jean-Rémi Kouchakji. Ces données permettent à PayinTech de personnaliser la relation, de différencier l’expérience de chaque consommateur présent le site et d’établir une analyse prédictive des comportements. Ce faisant, l’entreprise est capable de fidéliser ses clients en prédisant leur consommation future et proposant des offres adaptées. 

Le Big Data et le modèle de concurrence pure et parfaite

e développement du Big Data a impacté l’histoire de la pensée économique. Le Professeur Jean-Marc Daniel rappelle la théorie de la concurrence pure et parfaite développée au XIXème siècle par les économistes néo-classiques, dont l’hypothèse de la parfaite transparence du marché était une condition nécessaire pour que le marché fonctionne de façon optimale. Or, aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de communication, "tout individu qui procède à un achat est capable de comparer les prix réalisés par les différents concurrents". Il a maintenant une capacité à faire jouer la concurrence et oblige les monopoles à se remettre en cause et à réviser leur mode de tarification. La concurrence pure et parfaite étant donc presque réalisée, elle empêche, en effet, que certains acteurs profitent d’une information singulière pour manipuler le marché. 

Dans ce contexte, de nouvelles donnes de la concurrence apparaissent, fondées sur l’exploitation du Big Data. Comme il l’a été montré avec PayinTech, les entreprises développent des algorithmes capables d’anticiper la demande. Les prix devant baisser sous la pression concurrentielle induite par ce changement de paradigme économique, les entreprises élaborent de plus en plus leurs prix par anticipation de cette demande. Il résulte de cette stratégie une multiplication des formules d’abonnements et de forfaits (SNCF, RATP, abonnements mobiles, etc.). Dès lors, face à ses entreprises qui engrangent des données de plus en plus massives et personnelles, de nouvelles pratiques anti-concurrentielles ne remettent-elles pas en cause l’environnement d’information parfaite du marché ? 

De nouveaux acteurs en position concurrentielle forte 

"L’évolution du droit est liée à l’évolution du système économique" rappelle Céline Delacroix. Dans cette nouvelle étape de la révolution digitale, avec le Big Data comme nouvelle ressource stratégique, on constate de nouvelles positions de monopoles contestables et de nouveaux acteurs n’arrivant plus à pénétrer les marchés. Lorsque l’accès à un large volume de données est un facteur de compétitivité, leur collecte peut constituer une barrière à l’entrée si des nouveaux arrivants ne peuvent collecter ou acheter ce même type de données, comme Google en comparaison avec Yahoo ! ou Bing. 

Au sein de ce milieu, les autorités de concurrence en matière de droit commercial étudient dans quelle mesure la capacité des entreprises à traiter massivement des données leur confère un avantage trop important sur le marché. Cette vigilance est également rendue plus difficile car les enjeux concurrentiels liés à la donnée des concurrents sont eux-mêmes liés à des algorithmes tarifaires : l’observation des prix des concurrents est permanente et permet aux entreprises de s’adapter rapidement, en créant des collisions tacites entre sociétés via l’usage du Big Data. Mais alors, comment suivre ces algorithmes aujourd’hui ? Les autorités de concurrence sont-elles désarmées face à ces nouveaux enjeux ?

Céline Delacroix répondant par la négative à cette question, elle n’en réaffirme pas moins que le droit de la concurrence doit s’adapter… Mais de quelle façon ? En adoptant de nouveaux outils d’analyse ? En contrôlant les nouveaux entrants ? En entreprenant autoritairement de démanteler certains acteurs ? Autant de défis que les autorités auront à relever. 

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