R&D et Production 4.0

Lancées en décembre 2016, les rencontres mensuelles de la Chaire E. Leclerc et ESCP dédiées à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies sur le secteur. 

Elles sont animées par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen de la Recherche ESCP et Directeur Scientifique de la Chaire en présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E. Leclerc et Président de la Chaire E. Leclerc/ESCP). 

Déroulé du Petit-Déjeuner du 7 mars 2018

Le petit-déjeuner du 7 mars 2018 de la Chaire E. Leclerc/ESCP "Prospective du commerce dans la société 4.0" avait pour thème "R&D & Production 4.0", avec la participation de Daniel Harari, directeur général de Lectra, Evelyne Lhoste, chargée de recherche au Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS)Maud Berenger-Lachmann, Directrice TechShop - Ateliers Leroy Merlin, et le Professeur Valérie Moatti, doyenne de la faculté de ESCP et directrice scientifique de la Chaire Lectra-ESCP Mode et technologie

Autour de ce 13ème Petit-Déjeuner de la Chaire E. Leclerc/ESCP, les intervenants ont échangé sur les nouveaux enjeux de la production à l'aune de la 4e révolution industrielle, et notamment les modifications que cette dernière induit dans le commerce. 

Des « consommateurs slashers , co-producteurs et co-créateurs »

Les espaces de co-création se multiplient en France et à l’international. Le témoignage d’Evelyne Lhoste, sociologue spécialisée dans les sciences et techniques, a porté sur les "open labs" ou "tiers lieux" (espaces de "co-working", "co-living", "living labs", "makerspaces", "hackerspaces", "fablabs", "Do It Yourself", etc.). Selon Maud Berenger-Lachmann, les TechShop de Leroy Merlin attirent aujourd’hui de nombreux étudiants, et des entreprises dont les cellules R&D mettent à profit des machines qui ne sont accessibles au grand public qu’à trois endroits en France. Au TechShop de Station F, qui a ouvert en décembre 2017, les start-ups viennent surtout prototyper, les compétences agglomérées mises à disposition leur permettant de réduire le "time to market".

Le consommateur est aujourd’hui, plus en mouvement, plus "collaborateur", co-créateur, et fait partie de la multitude d’acteurs qui créent de la valeur et remplissent des besoins d’usage, selon le Professeur Olivier Badot. A l’aide d’exemples comme le VTT (vélo tout terrain, conçu par une communauté de pratiquants), Evelyne Lhoste a montré la place croissante des consommateurs dans l’innovation et une distribution de cette dernière. Or qui dit distribution de l’innovation, dit distribution de la valeur. Le Professeur Olivier Badot a également évoqué le "slashing", le fait que les gens aient de plus en plus une activité/une autre. Maud Berenger-Lachmann l’a confirmé, décrivant des utilisateurs ayant souvent plusieurs activités, pas forcément celle de créateur, et concevant des produits exploités commercialement par la suite. 

L’innovation comme vecteur de différentiation    

Selon Michel-Edouard Leclerc, "pour garder l’avantage sur ses concurrents, il faut accepter de se recréer et non pas simplement de faire durer. D’où le rôle de l’innovation, de la recherche, du développement, à l’intérieur, à l’extérieur. On ne peut plus se contenter d’un phénomène de mimétisme, d’imitation. Nous sommes dans une période où c’est celui qui fait qui va en être. Le président reconnait l’effet potentiellement disruptif de la Production 4.0. : "Nos enseignes, nos entreprises, s’ouvrent à l’aléa, à la gestion du risque en mode "push", en essayant de s’approprier les innovations dont on serait porteurs et qui seraient notre différentiation. Ça, c’est déjà une révolution culturelle dans nos métiers".

Maud Berenger-Lachmann a confirmé le rôle majeur des fablabs pour suivre les tendances émergentes. "A Station F, quand vous êtes un grand distributeur et le "lab hardware" des startups, vous êtes quand même dans le cœur du réacteur, a-t-elle ajouté. C’est aussi un concept qui permet de capter les tendances". 

De nouveaux modes de production permettent de répondre à la demande de personnalisation

L’Industrie 4.0 impulse, selon Daniel Harari, une nouvelle organisation des écosystèmes autour des usines. Plus flexibles tout en utilisant mieux les ressources, ces dernières deviendront le moteur d’un nouveau cycle de vie digitalisé des produits dont les consommateurs seront les bénéficiaires. "Je pense que l’innovation ne vient pas seulement de la technologie ; elle réside avant tout dans l’adoption de nouveaux modèles économiques. Lectra est un facilitateur de cette transformation, dont la première révolution viendra des producteurs. L’usine était devenue périphérique, voire un mal nécessaire, par rapport aux métiers de la création et de la distribution, par exemple. Aujourd’hui, elle retrouve ses lettres de noblesse et un rôle beaucoup plus central dans les modèles économiques de toutes les entreprises".

Qualifiés par le Professeur Olivier Badot d’oxymore dans la théorie économique "de base", les rendements croissants sur des petites séries sembleraient être devenus réalité. Ainsi, le témoignage de Daniel Harari montre que la production de masse laisse de plus en plus la place à une production personnalisée à grande échelle, conciliant la rapidité de mise sur le marché et la qualité des produits attendues par des consommateurs toujours plus impatients et exigeants. "La personnalisation de masse est non seulement possible, mais, contrairement aux idées reçues, rentable. Fabriquer un vêtement sur-mesure peut ne coûter que 3% de plus qu'en grande série. En outre, le vêtement est payé à l'avance, les stocks de tissus remplacent les stocks de vêtements et il n'y a pas d'invendus. Ce modèle économique peut donc être très rentable".

Vers une redéfinition des rôles et fonctions du marché chinois

L’une des quatre grandes tendances sur lesquelles Lectra a bâti sa stratégie et qui impacte l’activité de ses clients, c’est l’émergence de la génération des millennials en tant que consommateurs et décideurs en entreprise, et dont Daniel Harariconstate qu’ils sont souvent majoritaires dans les pays émergents. Une autre grande tendance est la mutation de la Chine, en passe de devenir le premier marché de consommation au monde d’ici cinq ans et dont le tissu industriel se modernise rapidement. "Le pays s’appuyait sur un coût de main d’œuvre bon marché ; ce n’est plus le cas. Ce qui peut provoquer le retour de la production dans les nouveaux pays compétitifs", estime Daniel Harari. "Je ne suis pas un spécialiste de la distribution, mais je pense que cette révolution, qui va venir des usines, modifiera le monde de la distribution". 

"Mon dernier mot dans mon dernier livre, c’était "maybe it’s time to copy China"", a ajouté le Professeur Olivier Badot avant d’évoquer un programme d’Etat "d’une sophistication technique, sociologique, économique, intellectuelle inédite".  

Production 4.0. : vers une économie plus humaine ?

A l’issue du débat habituel, le mot de la fin a été laissé à la Doyenne Valérie Moattiqui a remarqué que l’on s’était "posé un certain nombre de questions auxquelles on n’a pas toutes les réponses, mais on voit bien émerger des signaux faibles sur une recomposition de la chaîne de valeur et le rôle de chacun des acteurs. Avec même de nouveaux acteurs inattendus comme les enfants qui peuvent émerger dans certains contextes", avant un dernier point "un peu paradoxal (…) qui me parait très clairement ressortir de tous les échanges qu’il y a eu aujourd’hui, c’est que finalement on croit que l’Industrie 4.0 c’est d’abord des technologies, alors c’est certes les technologies mais elles sont aussi un facilitateur, un peu comme l’Etat, pour faire travailler des gens ensemble et redonner aussi un côté extrêmement humain, collaboratif, à l’économie".

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